Se préparer au déconfinement : comment anticiper une opération de fusion-acquisition ?

04/05/20
Se préparer au déconfinement : comment anticiper une opération de fusion-acquisition ?

Il est aujourd’hui clair que l’épidémie de Covid-19 qui s’est répandue dans le monde a, d’ores et déjà, un impact majeur sur le marché des fusions-acquisitions[1], et il est non moins évident que cet impact perdurera pendant encore plusieurs mois, au gré des modalités de réouverture des économies. Pour autant, cette réouverture sera une source d’opportunités stratégiques pour des investisseurs agiles et pouvant mobiliser des liquidités. Le présent article vise à éclairer ces investisseurs sur les principales évolutions à anticiper lors de cette période[2].

 

En effet, outre un réalignement nécessaire entre les attentes des investisseurs et celles des cédants, notamment sur les valorisations, cette crise va entraîner des modifications substantielles dans les différentes phases des opérations de fusions-acquisitions et les questions juridiques que les acteurs seront amenés à négocier.

 

Cet article aborde une sélection de ces questions et s’articule en trois parties consacrées (i) à la phase de due diligence et aux garanties de passif, (ii) à certains termes majeurs de l’opération (clause MAC, prix, période intercalaire) et (iii) au processus et au calendrier.

 

Il est souligné ici qu’il s’agit d’une synthèse, que ces différentes questions sont interdépendantes et qu’en tout état de cause la réponse qui y sera apportée dépendra des spécificités de chaque opération et du secteur d’activité concerné. Plus que jamais, l’assistance de conseils experts sera indispensable pour mener à bien une telle opération.

 

 

1. La phase de due diligence et les garanties de passif

La réalisation d’audits devient d’autant plus essentielle dans ce contexte, où il s’agira d’évaluer l’impact financier et opérationnel de la crise sur la cible et, sans doute bien plus encore, sa capacité à rebondir à court et moyen terme.

 

Au plan juridique, l’exercice de due diligence devra être adapté pour sécuriser les acheteurs sur les questions spécifiques liées à l’épidémie de Covid-19, dont on peut citer des exemples :

 

  • quel plan de crise a-t-il été mis en place au sein de la société cible pour atténuer les conséquences de l’épidémie, et pour anticiper une éventuelle « seconde vague » ?
  • l’entreprise a-t-elle pris les mesures adaptées pour protéger ses salariés, ses prestataires et ses clients ? A-t-elle respecté les mesures sanitaires mises en place par les pouvoirs publics ?
  • la société cible a-t-elle eu à subir la suspension ou la rupture des contrats qui la liaient à des tiers (clients, fournisseurs, partenaires) ? Existe-t-il un risque que cela arrive en cas de reprise de l’épidémie ? A l’inverse, pouvait-elle invoquer une disposition légale, la force majeure ou une clause de material adverse change pour se dégager de ses obligations, et l’a-t-elle fait quand c’était opportun et dans quelles conditions ?
  • les polices d’assurance de la société cible permettent-elles, dans certaines situations, d’obtenir des indemnisations, notamment en termes de pertes d’exploitation ?
  • la société a-t-elle bénéficié de mesures de soutien financier ? A-t-elle respecté les conditions liées à ce soutien (par exemple : engagement de ne pas distribuer de dividendes) ?
  • des changements législatifs sont-ils anticipés, qui pourraient avoir un impact sur l’activité ?
  • la société cible bénéficie-t-elle de sûretés ou d’assurances lui permettant de faire face à l’insolvabilité d’un débiteur ?

Les premiers plans de déconfinement mis en place par les pays concernés (Chine, Italie, France…) montrent que le « retour à la normale » ne s’effectuera pas tout de suite ni complètement. Il sera donc prudent d’anticiper des délais supplémentaires dans la réalisation des due diligences. En effet, même si les solutions de communication à distance et l’intelligence artificielle permettent de substantiels gains de temps, certaines composantes de cet exercice, telles que la numérisation de documents ou les visites de sites, nécessitent malgré tout des diligences sur place, qu’il conviendra donc d’organiser dans le respect des précautions sanitaires.

 

De la même manière, le contexte sanitaire provoquera nécessairement une adaptation et un renforcement des déclarations et garanties négociées dans le contrat d’acquisition : l’acquéreur cherchera ainsi à négocier des indemnisations spécifiques couvrant les risques identifiés dans le cadre des due diligences, et plus généralement à être garanti contre les risques latents liés à l’épidémie (cf. questions ci-dessus).

 

Dans ce contexte particulier, le vendeur aura de son côté intérêt à divulguer le plus largement possible les risques connus de lui, quitte à négocier au mieux les termes des indemnisations spécifiques visées ci-dessus. Il souhaitera en outre pouvoir mettre à jour ses déclarations entre signing et closing en cas d’événement nouveau, point âprement négocié habituellement mais qui le sera encore plus en l’occurrence.

 

 

2. Points majeurs de négociation : clause MAC, clause de prix, période intermédiaire

Clause MAC

 

A titre de rappel, une « clause MAC » (pour material adverse change) a pour objet de permettre à l’acquéreur de ne pas poursuivre l’opération en cas d’événement affectant significativement (et de manière négative) l’activité, les actifs ou les résultats de la société cible avant le closing. Elle prend juridiquement la forme d’une condition suspensive.

 

On sait que de telles clauses, courantes aux Etats-Unis par exemple, sont relativement rares dans les transactions européennes et notamment françaises, et se limitent souvent, lorsqu’elles existent, à poser un principe général sans définir dans le détail la nature et l’ampleur de l’événement négatif.

 

L’épidémie de Covid-19 pourrait cependant voir la généralisation et une plus grande sophistication de telles clauses dans les transactions à venir. On sait en effet que la possibilité d’invoquer la force majeure pour se dégager de contrats conclus avant l’épidémie reste controversée[3] – et risque d’être encore plus délicate pour ceux à conclure compte tenu du caractère maintenant connu, et donc prévisible, de cet événement (particulièrement en cas de « seconde vague »). Un autre fondement, légal celui-ci, autorisant à se dégager d’un contrat consiste dans l’imprévision, stipulée à l’article 1195 du Code civil, mais son application est quasi-systématiquement écartée dans les contrats d’acquisition.

 

Ceci renforce l’intérêt, pour l’acquéreur, de négocier une clause MAC adaptée. A cet égard, une telle clause prendra en compte de multiples facteurs, qui varieront en fonction de la taille et du secteur d’activité de la cible ainsi que du contexte de l’épidémie. On citera ainsi, là encore à titre d’exemples à adapter ou enrichir :

 

  • La nature de l’événement négatif : la reprise de l’épidémie ? la prolongation de l’état d’urgence sanitaire ? plus spécifiquement, la réduction du chiffre d’affaires, et/ou l’augmentation des dépenses découlant de l’épidémie ? la fermeture d’un ou plusieurs sites de production, de R&D, de distribution du fait de cette épidémie ?
  • sa durée et son ampleur : à compter de quelle durée, et de quels montants (ou pourcentages) l’événement sera-t-il considéré comme significatif ? doit-il être apprécié au regard du groupe cible dans son ensemble, ou entité par entité (ou encore spécifiquement pour certaines d’entre elles) ?
  • les exclusions à prévoir : généralement, les événements dont le vendeur n’a pas la maîtrise (crise économique, guerre, modifications de la loi…) sont exclus des clauses MAC. Au cas particulier de l’épidémie de Covid-19, ce principe sera difficile à faire prévaloir par les vendeurs puisqu’il aboutit en pratique à priver la clause de l’essentiel de sa portée ; une solution pourra être de prévoir des exceptions à cette exclusion, par exemple dans l’hypothèse où la cible n’aurait pas pris les mesures appropriées face à l’épidémie.

 

Clause de prix

 

Le marché du M&A, notamment français, a vu ces derniers temps la proportion croissante des mécanismes de « locked box » dans les clauses de prix des contrats d’acquisition. A l’évidence, ce mécanisme, qui conduit à faire porter le risque économique à l’acheteur à compter de la date de référence convenue, risque de faire les frais des incertitudes majeures créées par l’épidémie de Covid-19.

 

Les acquéreurs auront donc manifestement intérêt à privilégier les clauses de détermination du prix reposant sur le calcul de la valeur d’entreprise (ajustée de la dette nette et du BFR) à la date du closing.

 

Dans le même esprit, le recours à des mécanismes d’earn out permettra de sécuriser l’acheteur dans un environnement incertain, en conditionnant le montant et/ou le paiement d’une ou plusieurs parties du prix à la réalisation de certains objectifs, qui peuvent être financiers et/ou spécifiques (par exemple le recouvrement de créances importantes ou l’adoption de mesures de sécurité sanitaire prédéfinies). Dans cette hypothèse, le risque pour le vendeur est que le management de l’acquéreur empêche ou dégrade la réalisation de ces objectifs ; le vendeur s’attachera donc à négocier des engagements de la part de l’acquéreur (par ex. information du vendeur, décisions communes, obligation de « mitigation »…)

 

Période intermédiaire

 

Un autre point d’attention, dans le contexte actuel, concerne les obligations du vendeur dans la période dite intermédiaire s’étendant entre le signing et le closing. Sont visées en particulier l’obligation du vendeur de tenir l’acquéreur informé de tout événement pouvant avoir un impact significatif sur les résultats ou la situation financière de la société cible, ainsi que son engagement de ne pas prendre de décisions structurantes sans l’accord de l’acquéreur.

 

Les investisseurs financiers et les acheteurs stratégiques chercheront à se sécuriser en renforçant significativement ces obligations et en les adaptant spécifiquement aux risques résultant de l’épidémie de Covid-19.

 

De manière générale, il résulte de ce qui précède que les négociateurs de ces opérations devront ne pas se reposer sur leur seule expertise, mais aussi faire preuve de créativité et d’une solide pratique du secteur d’activité concerné – moyennant quoi il ne fait pas de doute que les prochains mois verront la concrétisation d’opérations stratégiques importantes.

 

3. Impacts sur le processus de l’opération et son calendrier

Comme on l’a vu précédemment, il conviendra d’anticiper des délais additionnels pour la réalisation des due diligences, dans la mesure où les plans de déconfinement qui seront mis en place (et adaptés régulièrement à l’évolution de l’épidémie) comprendront des restrictions de déplacement et de réunion de nature à compliquer les visites de sites.

 

De même, s’agissant des délais de réalisation des conditions suspensives, il sera prudent de prévoir des long-stop dates plus éloignées qu’à l’accoutumée, notamment :

 

  • si l’opération est soumise à une procédure d’information / consultation des institutions représentatives du personnel, dans la mesure où l’organisation de réunions de ces organes par télécommunication, si elle est possible, peut s’avérer difficile à mettre en œuvre en pratique ;
  • en cas de financement par emprunt ; les banques sont en effet actuellement mobilisées par la mise en place de prêts de soutien (Prêts Garantis par l’Etat), ce qui, combiné avec les contraintes liées au confinement qui se maintiendra au moins en partie, peut induire des délais majorés de mise en place d’une dette senior ;
  • dans les cas où des autorisations administratives (permis, licences, contrôle des concentrations…) doivent être obtenues, eu égard aux perturbations créées par le confinement sur le fonctionnement des services publics. A cet égard, selon la nature des autorisations à solliciter, les conseils des parties s’attacheront à vérifier dans quelle mesure les délais impartis à l’administration pour répondre aux demandes sont concernés par les mesures de suspension des délais pris par le gouvernement[4].

Au-delà de la simple question des délais, on soulignera que certains pays, dont la France, renforcent, à l’occasion de l’épidémie, le périmètre du contrôle exercé par le gouvernement sur les investissements étrangers, dans l’objectif d’éviter les prises de contrôle opportunistes par des prédateurs étrangers de pépites nationales affaiblies par la crise.

 

S’agissant par ailleurs de la réalisation matérielle des opérations de signing et de closing, la situation sanitaire ne favorise évidemment pas les réunions de signature physiques et les échanges de poignées de mains. Pour autant, des solutions existent, évitant de reporter la conclusion d’une opération.

 

La législation européenne et française permet en effet d’utiliser la signature électronique dans des conditions de sécurité équivalentes à une signature manuscrite (signature avancée ou qualifiée). Dans certains pays où le recours à un notaire est obligatoire pour les actes de sociétés (ex. Allemagne ou Espagne), des solutions existent là aussi pour pallier l’impossibilité de se réunir physiquement.

 

Les parties auront donc intérêt à s’assurer, lors du choix de leurs conseils, que ceux-ci sont équipés des moyens technologiques leur permettant non seulement de travailler à distance, tant sur les due diligences que pour les négociations (via la virtualisation des postes de travail, l’utilisation de moyens de visioconférence et d’outils d’intelligence artificielle), mais également de procéder au signing et au closing par voie de signature électronique – et utilisent pour ce faire des plateformes procurant le niveau adéquat de sécurité, de fiabilité, de robustesse et de facilité d’usage.

 

Si les opérations de closing requièrent la tenue d’assemblées d’actionnaires, par exemple pour décider le changement de dirigeants ou approuver une augmentation de capital, les modifications législatives et réglementaires récentes, promulguées dans le contexte de la crise sanitaire, permettent d’y procéder soit par voie de visio- ou télé-conférence, voire à huis clos, hors la présence physique des actionnaires et des autres personnes autorisées à y assister, et ce même si les statuts ne le prévoient pas[5].

 

Enfin, les formalités permettant de rendre ces décisions opposables aux tiers peuvent également être réalisées par voie dématérialisée, les bureaux de l’enregistrement et les greffes des tribunaux de commerce s’étant organisés en conséquence.

 

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Chers investisseurs, chers entrepreneurs, chers acteurs du monde des M&A, nous sommes évidemment à votre disposition pour échanger sur ces questions et pour partager les différentes positions que vous pouvez adopter sur ces dernières afin de participer ensemble à la mise en œuvre d’opérations sécurisées et conformes aux intérêts de chacun.

 

 

[1] Voir par exemple : https://www.lesechos.fr/finance-marches/ma/coronavirus-onde-de-choc-sur-les-fusions-acquisitions-mondiales-1185686

[2] Voir aussi : https://www.degaullefleurance.com/video-covid19-quelles-consequences-sur-les-fusions-acquisitons/

[3] Sur ce sujet, voir : https://www.degaullefleurance.com/force-majeure-et-epidemie-de-covid-19/

[4] Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020

[5] Voir à ce sujet https://www.degaullefleurance.com/covid-19-et-societes/

Pour aller plus loin