Le 6 octobre, la sous-commission judiciaire « Antitrust, Commercial, and Administrative Law » du Congrès américain a publié et signé 449 pages de rapport sur la concurrence dans le secteur de l’économie numérique dans lequel elle analyse les positions des géants du numérique (GOOGLE, AMAZON, FACEBOOK et APPLE) ou GAFA. Ce rapport constate que l’activité des GAFA est susceptible d’affecter l’économie ou encore la démocratie et propose ainsi un certain nombre de recommandations.
En juin 2019, une investigation bipartisane du Congrès de grande ampleur a pris place aux États-Unis sur les acteurs de l’économie numérique avec comme objectifs d’analyser le fonctionnement et le rôle des GAFA (en 2019, Google : 160,7 milliards de $[1] ; Amazon : 280 milliards de $[2] ; Facebook : 70 milliards de $[3] ; Apple : 260 milliards de $[4]), d’examiner si ces acteurs sont engagés dans des pratiques anticoncurrentielles ainsi que d’examiner si la règlementation applicable est apte à résoudre les distorsions de concurrence de ce secteur.
La sous-commission judiciaire « Antitrust, Commercial, and Administrative Law » du Congrès, dans le cadre de cette investigation, a traité près de 1 200 0000 documents, transmis par les GAFA, réalisé des dizaines d’auditions (GAFA, acteurs, concurrents, consommateurs, experts et autorités spécialisés en droit de la concurrence) ou encore des tables rondes sur des thématiques variées (innovation, données, etc.).
Parmi les auditions très médiatiques, l’on retrouve celles de Mark ZUKERBERG (Facebook), Tim COOK (Apple), Sundar PICHAI (Google) ou encore Jeff BEZOS (Amazon), réalisées fin juillet 2020, qui ont permis aux représentants du Congrès d’interroger pendant plusieurs heures ces acteurs sur leurs pratiques commerciales et notamment leur position sur les preuves des agissements abusifs les ayant conduits à prendre une place prépondérante (auto référencement, prix abusifs ou encore pratiques d’éviction).
Le rapport reconnaît que les GAFA ont apporté au cours des dernières années de nombreux bénéfices à la société, mais que ces bénéfices s’accompagnent d’un prix à payer : « Ces entreprises dirigent généralement le marché tout en y faisant concurrence. Une position qui leur permet d’écrire un ensemble de règles pour l’ensemble des acteurs, tandis qu’elles agissent en fonction d’autres règles, ou de s’engager dans une forme de quasi-réglementation privée pour laquelle elles n’ont de comptes à rendre qu’à elles-mêmes. »[5].
De plus, selon la sous-commission, les auditions apportent « des preuves significatives que ces entreprises exercent leur domination de manière à éroder l’esprit d’entreprise, à dégrader la vie privée des Américains en ligne et à miner le dynamisme de la presse libre et diversifiée. »[6]
Cette méfiance de la sous-commission est partagée par les consommateurs. Selon un sondage paru en septembre 2020 sur la concurrence des plateformes en ligne[7], les consommateurs sont inquiets notamment sur la quantité de données stockées (85 %), sur l’objectivité des résultats des plateformes et leur absence de biais (58 %). En outre, 79 % des sondés estiment que ces acteurs diminuent la concurrence.
La sous-commission constate que les administrations sont lacunaires dans leur contrôle et que la règlementation américaine « antitrust » a été significativement affaiblie par les juridictions. Elle a été rendue difficilement applicable par les administrations de contrôle et les consommateurs, que ce soit au travers la mise en place d’une « protection du consommateur » comme unique objectif ou encore en regardant seulement les conséquences des pratiques et non le processus anticoncurrentiel[8]. La « Federal Trade Commission » a d’ailleurs participé à ce problème en publiant des recommandations fortement permissives pour les acteurs.
À titre d’exemple, dans le cadre de prénotification (Clayton act), sur les 100 acquisitions de Facebook, la « Federal trade Commission » n’a sollicité d’investigations plus poussées que pour l’acquisition d’Instagram en 2012.[9]
C’est dans ce contexte législatif que les GAFA ont pu prospérer et possèderaient dorénavant un pouvoir de contrôle sur l’entrée d’autres acteurs qu’elles utiliseraient concrètement pour maintenir leurs positions (surveillance des acteurs du marché, l’acquisition, la copie ou encore l’éviction de ces acteurs). Le rapport fait état en annexe pour les quatre acteurs d’une liste de plus de 500 acquisitions cumulées au cours des dernières décennies. Le rapport fait aussi état de plusieurs risques tels que notamment l’utilisation des données collectées pour identifier les nouveaux concurrents et les acquérir, des abus de position dominante (pratiques abusives contractuelles, discriminatoires et d’éviction).
Les recommandations de la sous-commission judiciaire « Antitrust, Commercial, and Administrative Law » du Congrès américain concernent la restauration d’une concurrence effective sur les marchés de l’économie numérique (i), le renforcement des législations « Antitrust » (ii) et de leur application (iii).
Parmi les recommandations, on retrouve notamment :
Ce sont des mesures fortes que recommande sous-commission judiciaire « Antitrust, Commercial, and Administrative Law » du Congrès et en termes de contenu la proposition de réforme la plus conséquente dans la matière depuis un demi-siècle. Toutefois, en l’état actuel ce ne sont que des pistes de réflexions. Il convient de noter que ces recommandations ont été adoptées par les seules membres démocrates de la sous-commission qui dispose de la majorité, les membres républicains exprimant leur désaccord estimant les mesures proposées trop radicales.
Une réforme américaine du droit de la concurrence semble se profiler, toutefois, encore faut-il que le Congrès décide de la manière concrète dont la législation sera modifiée au cours des prochains mois.
L’élection de Joe Biden comme nouveau Président des États-Unis permettra-t-elle de porter les recommandations initiées par son parti ?
En tout état de cause, les membres républicains de la sous-commission « Antitrust, Commercial, and Administrative Law » du Congrès ont aussi rédigé un autre rapport où ils convergent sur de nombreuses recommandations, mais pas sur toutes. Les républicains énoncent : « ces changements potentiels n’ont pas besoin d’être spectaculaires pour être efficaces. »[17]
Leurs objectifs sont identiques, mais pas la manière de réguler ces acteurs, notamment sur la séparation structurelle et l’interdiction sur les marchés adjacents. Leur proposition consiste notamment en un contrôle renforcé par le Congrès de l’utilisation que font ces sociétés de leurs positions dominantes sur le marché.
Ces problématiques font d’ailleurs échos à l’actualité en Europe et en France, la régulation de l’économie du numérique est un sujet brulant.
La mise en place de règles spécifiques à ces plateformes devient une nécessité aussi pour l’Union européenne puisqu’elle a annoncé un « Digital Services Act » avec deux objectifs. La Commission européenne proposerait des règles claires définissant les responsabilités des services numériques pour faire face aux risques encourus par leurs utilisateurs et pour protéger leurs droits et proposerait des règles ex ante couvrant les grandes plateformes en ligne agissant comme des gardiens, qui fixent désormais les règles du jeu pour leurs utilisateurs et leurs concurrents.[18]
Les GAFA sont ciblées de tout bord. Ainsi, à la suite de l’échec des négociations au niveau de l’OCDE sur une taxe applicable aux géants du numérique, la France appliquera sa loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 (portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés), qui avait été suspendue, et prélèvera les entreprises concernées dès cette année.
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