Un nouveau cadre législatif applicable aux plateformes numériques
Article mis à jour le 11 Janvier 2021
A n’en pas douter, « les plateformes en ligne ont pris une place centrale dans notre vie, dans notre économie et dans notre démocratie » (Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur).
Pourtant, le cadre juridique relatif aux services numériques reste à ce jour principalement gouverné par la directive dite « Commerce Electronique » du 8 juin 2000, qui essuie depuis quelques années déjà de nombreuses critiques au motif qu’elle serait devenue obsolète et ne permettrait plus de répondre efficacement aux nouveaux enjeux du numérique et aux difficultés que pose l’émergence de géants du Web, souvent désignés par l’acronyme « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a officiellement annoncé sa volonté de moderniser le paysage règlementaire relatif aux plateformes numériques. La nouvelle législation à venir, baptisée le Digital Services Act (ou « loi sur les services numériques »), est attendue pour la fin de l’année.
Le Digital Services Act est donc un chantier de très grande envergure qui devrait couvrir de nombreux sujets comme la responsabilité des plateformes, la lutte contre la diffusion de contenus illicites et contre la désinformation sur Internet, l’encadrement ex ante des grandes plateformes structurantes, la situation des travailleurs indépendants en ligne, la publicité en ligne etc.
Pour éclairer ses propositions, la Commission européenne a tout d’abord mené, entre juin et septembre 2020, une vaste consultation publique destinée à recueillir les avis des parties prenantes (gouvernement, entreprise, lobbies, etc.) sur la future législation.
La consultation publique se structurait autour des deux axes suivants :
La directive dite « Commerce Electronique » précitée a posé le principe d’une responsabilité limitée des hébergeurs qui, contrairement aux éditeurs, n’ont pas connaissance des contenus publiés ou transitant via leurs services.
Dès lors qu’ils n’assurent qu’un rôle neutre, purement technique et passif à l’égard des contenus hébergés, les hébergeurs ne peuvent engager leur responsabilité que lorsque ceux-ci ne retirent pas promptement les contenus dont le caractère manifestement illicite a été porté à leur connaissance.
La directive « Commerce Electronique » prévoit également que les hébergeurs ne peuvent être tenus à des obligations de surveillance généralisée des contenus.
C’est cette « déresponsabilisation » des plateformes qui est au cœur des discussions – et évidemment des crispations – sur le Digital Services Act.
Etaient ainsi abordées dans ce premier volet de la consultation la question du statut juridique des plateformes, ou encore celle des obligations pouvant peser sur elles s’agissant de la modération des contenus illicites.
Il s’agit ici de l’encadrement des plateformes numériques « structurantes » qui sont aujourd’hui devenues le passage obligé des relations économiques et sociales (comme par exemple Facebook ou Twitter) et qui ont la possibilité d’empêcher les nouveaux entrants d’accéder au marché.
L’objectif annoncé de la Commission est ainsi de redessiner le cadre concurrentiel des services du numériques, ce qui pourrait notamment aboutir à la mise en place d’obligations spécifiques (portant par exemple sur le partage de données avec des entreprises concurrentes, sur l’interopérabilité des services, etc.) applicables à certains acteurs uniquement.
De nombreux intervenants ont saisi l’occasion de s’exprimer sur ce vaste chantier européen. Parmi les contributions les plus commentées, on note par exemple celle de Google ou encore de Facebook dans lesquelles ces géants du Web insistent notamment sur la nécessité de maintenir la responsabilité limitée des hébergeurs.
Edima, le principal lobby à Bruxelles des plateformes numériques a également adopté une position proche de celle de Google et Facebook, et dont il ressort que les géants du Web se disent ouverts à la réforme, mais souhaitent que le principe de responsabilité limitée des hébergeurs soit maintenu, tout en rappelant la nécessité de mettre en place de procédures claires et équilibrées de modération des contenus illégaux.
Autre point d’attention : la détermination des plateformes qui pourraient se voir qualifier de « gatekeepers », point particulièrement détaillé dans la contribution de l’ARCEP qui donne quelques exemples de critères et d’indices qui pourraient permettre de mieux cibler les acteurs concernés. De son côté, Microsoft insiste sur le fait que la nouvelle législation européenne devrait fixer un seuil élevé et exigeant de sorte que quelques plateformes uniquement seraient soumises à des obligations plus sévères.
Parallèlement à cette consultation publique, plusieurs commissions du Parlement européen ont également travaillé à l’élaboration de rapports d’initiative destinés à être adressés à la Commission pour alimenter sa proposition de Digital Services Act (voir ici, ici et ici). Ces rapports ont été votés en assemblée plénière et adoptés par le Parlement européen le 20 octobre 2020.
Les idées structurantes qui se dégagent de ces rapports sont les suivantes :
Enfin, gage d’efficacité de la nouvelle législation, les eurodéputés assurent que « tous les prestataires de services numériques établis dans des pays tiers [devront] respecter le paquet législatif sur les services numériques lorsque leurs services sont également destinés aux consommateurs ou aux utilisateurs de l’UE ».
La Commission européenne a donc désormais de quoi nourrir sa proposition, attendue d’ici la fin de l’année. A quoi doit-on s’attendre ?
Bien que non rendue publique, une première ébauche du Digital Service Act a pu être consultée notamment par le Financial Times qui en a dévoilé quelques bribes.
S’agissant de la lutte contre les contenus illicites en ligne, il n’est pas envisagé, d’après les propos tenus par Thierry Breton au Financial Times, de revenir sur le régime de responsabilité limitée prévu par la directive « Commerce Electronique », bien que des règles toutefois plus strictes en termes de modération seront, à n’en pas douter, envisagées.
Plusieurs autres pistes semblent avoir fait leur chemin, parmi lesquelles notamment l’obligation pour les géants du Web (les « gatekeepers ») de partager avec des concurrents les données recueillies dans le cadre de leurs services qu’elles souhaiteraient exploiter pour leurs propres activités commerciales.
La nouvelle législation pourrait également interdire aux géants du Web d’avantager leurs propres services au détriment des concurrents, notamment en préinstallant leurs propres applications sur des appareils.
Rien n’est toutefois encore joué puisque le texte reste à l’état de projet : reste à savoir dans quelle mesure et de quelle manière la Commission européenne prendra en compte les positions parfois antagonistes des différentes parties prenantes.
La prise de conscience n’est d’ailleurs pas qu’européenne : aux Etats-Unis également les choses évoluent, puisque les autorités antitrust américaines ont ouvert des enquêtes contre Google, Facebook, Apple et Amazon.
Des poursuites ont été lancées le 20 octobre dernier contre Google, accusé d’abus de position dominante.
Ces actualités semblent traduire une « défiance » croissante envers les géants du Web.
Une nouvelle ère pour les GAFAM donc ? C’est en tout état de cause le message qui semble être porté d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique.
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