Hydroxychloroquine, confinement total et autres

01/04/20
Hydroxychloroquine, confinement total et autres

Les réponses du Conseil d’Etat aux demandes d’injonctions

 

Comme les autres juridictions françaises, le Conseil d’Etat a suspendu un grand nombre de ses activités pour lutter contre la propagation du Coronavirus COVID-19 et se conformer aux instructions du gouvernement (accueil du public, séances de jugement, évènements publics…).

 

Malgré le contexte actuel, son rôle demeure pourtant central et le plan de continuité d’activité de ses services garantit le traitement en priorité des dossiers urgents : il est ainsi des différentes procédures de référé-liberté (article L. 521-2 du Code de justice administrative) dont il a été saisi pour lui demander d’ordonner – au plus tard 48 heures après sa saisine – au gouvernement de prendre diverses mesures dans le cadre de la lutte contre le COVID 19.

 

Pour rappel, le Gouvernement peut prendre toutes dispositions – même limitant l’exercice des droits et libertés fondamentaux – de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’actuelle épidémie (article L. 3131-1 du Code de la santé publique « CSP »). Ces mesures doivent toutefois être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent. La carence de l’Etat peut être également sanctionnée dans ce cadre lorsqu’elle crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes.

 

Toutefois, les quatre demandes d’injonction présentées ont toutes été rejetées par le Conseil d’Etat dans quatre ordonnances de référé rendues les 22 et 28 mars dernier.

 

I – Demandes concernant le traitement à base d’hydroxychloroquine et de Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) pour le Plaquenil (Ordonnances n° 439765 et 439726 du 28 mars 2020)

 

Avant de statuer sur les demandes concernant l’autorisation du traitement à base d’hydroxychloroquine et la RTU du Plaquenil, le Conseil d’Etat rappelle le cadre légal applicable : l’article L. 5121-12-1 du CSP relatif aux RTU et l’article L. 3131-15 du même code, issu de la loi du 23 mars 2020, autorisant le gouvernement à prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire.

 

  • Circonstances générales

Le médicament concerné, dont la substance active est l’hydroxychloroquine, et commercialisé par Sanofi sous le nom de Plaquenil dans le cadre d’une AMM délivrée en 2004, a pour indications thérapeutiques : le traitement symptomatique d’action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d’appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.

 

En application du CSP, et en l’absence de toute RTU, ce médicament ne peut donc être prescrit en dehors de ses indications, sauf si le prescripteur juge indispensable au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient, au regard des données acquises de la science. Le juge des référés souligne qu’aucun traitement n’est actuellement connu pour soigner les patients atteints du COVID 19.

 

Une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l’activité in vitro de l’hydroxychloroquine sur le virus qui en est responsable.

 

Par ailleurs, une recherche a été conduite par l’IHU de Marseille du 5 au 16 mars 2020 chez 26 patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du COVID 19 et que cet effet est renforcé par l’azithromycine.

 

En outre, un essai clinique européen Discovery a été lancé le 22 mars 2020 pour tester l’efficacité et la sécurité de cinq molécules, dont l’hydroxychloroquine, dans le traitement du COVID 19, incluant 3 200 patients européens, dont au moins 800 patients français hospitalisés pour une infection due au covid-19, inclus à compter du 24 mars, les premiers résultats étant attendus quinze jours après le démarrage de l’essai.

 

Le Conseil d’Etat rappelle que le Haut Conseil de la santé publique a pour sa part, le 23 mars 2020, rendu un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du COVID 19 et qu’il estime que les résultats de l’étude menée au sein de l’IHU de Marseille doivent être considérés avec prudence en raison de certaines de ses faiblesses et justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique.

 

Le Haut Conseil de la santé publique y préconise : « de façon générale, pour la prise en charge des patients, l’hospitalisation en cas de pneumonie oxygéno-requérante, en cas de pneumonie avec insuffisance respiratoire aiguë ou défaillance d’organes et en cas d’infection par le virus avec aggravation secondaire et absence d’excrétion virale. En l’état actuel des connaissances, il propose que l’hydroxychloroquine puisse être utilisée, d’une part, en cas de pneumonie oxygéno-requérante, après discussion, au cas par cas, de manière collégiale, et à défaut de l’association entre lopinavir et ritonavir, identifié comme médicament candidat potentiel à évaluer en essai clinique par l’Organisation mondiale de la santé, et, d’autre part, en cas de pneumonie avec défaillance d’organe mais sans défaillance respiratoire, tout en tenant compte de ce que les modalités d’administration de l’hydroxychloroquine ne sont pas adaptées d’emblée. Il recommande, dans l’attente des données issues d’études cliniques sur le covid-19, que si l’indication d’un tel traitement a été retenue de façon collégiale, il soit initié le plus rapidement possible, dans le but d’éviter le passage à une forme grave nécessitant un transfert en réanimation, et que le patient soit inclus dans la mesure du possible dans la cohorte « French covid-19 ».

 

Sont ensuite rappelées par le Conseil d’Etat les 3 mesures prises par le Gouvernement dans le cadre du décret du 25 mars 2020 :

    • Possibilité pour les médecins, sous leur responsabilité, de prescrire, dispenser et administrer l’hydroxychloroquine aux patients, dans les établissements de santé ainsi que la poursuite de leur traitement à domicile si leur état de santé le permet et sur autorisation du prescripteur ; la prescription doit avoir lieu après décision collégiale et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique ; le décret prévoit en outre les conditions de prise en charge et de vente des médicaments, et l’ANSM est chargée d’élaborer un Protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil d’information (PUT) a l’attention des professionnels de santé ainsi que d’établir les modalités d’information adaptées aux patients.
    • Dispensation par les pharmacies d’officine de Plaquenil exclusivement dans le respect des indications de l’AMM, ainsi que des préparations à base d’hydroxychloroquine, et nécessité d’une prescription initiale émanant de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, ou au renouvellement d’une prescription émanant de tout médecin.
    • Interdiction des exportations de Plaquenil par les grossistes répartiteurs.

 

  • Le rejet des demandes des requérants

 

En ce qui concerne la demande de RTU

Pour le Conseil d’Etat, compte tenu des insuffisances méthodologiques des études de l’IHU de Marseille et chinoise, seul l’essai clinique « Discovery », dont les résultats seront connus dans une dizaine de jours, permettra de recueillir des résultats significatifs.

 

Par ailleurs, même si l’usage de cette molécule est bien documenté, l’hydroxychloroquine « peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d’engager le pronostic vital et il présente des risques importants en cas d’interaction médicamenteuse. Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi non seulement le respect de précautions particulières mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque. »

 

Enfin, les espoirs suscités par les premiers résultats rendus publics par l’équipe de Marseille ont entrainé une forte augmentation des ventes de Plaquenil et fait apparaitre des tensions d’approvisionnement et donc des difficultés pour les patients en ayant besoin dans ses indications à se les procurer.

 

Le Conseil d’Etat souligne qu’à partir du moment où la prescription est possible dans les établissements hospitaliers, mais que la dispensation en ville est limitée aux indications de l’AMM, de telles mesures sont conformes aux préconisations du Haut conseil de la santé publique, à défaut de données acquises de la science, et sont susceptibles d’évolution rapide.

 

Dans ces conditions, le choix de ces mesures « ne peut être regardé, en l’état de l’instruction, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin. »

 

En ce qui concerne la production et la constitution de stocks

Le Conseil d’Etat indique enfin que des mesures d’interdiction d’exportation ont été prises pour garantir l’approvisionnement des patients sur le territoire national et qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’absence de mesures autres que l’interdiction d’exportation révèlerait une carence caractérisée du gouvernement dans l’usage des pouvoirs que lui confère la loi, portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales. Il note d’ailleurs incidemment que si les requérants ont demandé au juge d’ordonner au gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires à la production et la constitution de stocks de médicaments, ils n’ont pas précisé quelles seraient les mesures qui pourraient entreprises utilement et à bref délai.

Pour ces raisons, le Conseil d’Etat a rejeté les demandes d’injonction concernant l’hydroxychloroquine et le Plaquenil.

 

II – Sur le dépistage (Ordonnances n° 439674 du 22 mars 2020 et n° 439726 du 28 mars 2020)

 

Il a également été demandé au Conseil d’Etat d’ordonner au Gouvernement de prendre toute mesure pour assurer la production de tests de dépistage à échelle et le dépistage des personnels médicaux.

 

Sur ce point, le Conseil d’Etat relève que les autorités ont pris les dispositions avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger pour augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais et les diversifier. Il constate également que la limitation des tests aux seuls personnels de santé présentant des symptômes du virus résulte, aux jours de ses décisions, d’une insuffisante disponibilité des matériels.

Le rejet des demandes repose donc sur les mesures déjà prises par le Gouvernement et sur le fait que les quantités des matériels sont pour l’instant insuffisantes.

 

III – Sur la mise à disposition de masques et autres dispositifs médicaux aux professionnels de santé (Ordonnances n° 439693 et 439726 du 28 mars 2020)

Le syndicat Infin’idels (syndicat des infirmiers libéraux) et le Syndicat des médecins d’Aix et Région demandaient quant à eux au Conseil d’Etat à enjoindre à l’Etat diverses mesures concernant la fourniture de masques et autres matériels de protection.

 

En ce qui concerne les matériels de protection autres que les masques, le Conseil d’Etat constate qu’aucune difficulté notable d’approvisionnement ne justifie des mesures d’injonction.

 

Pour les masques, il rappelle le stock existant au début de l’épidémie (117 millions de masques), les mesures générales prises dans le décret du 23 mars (réquisitions sur les stocks de masques…) et constate que grâce à ces mesures, aux dons et aux commandes de plusieurs centaines de millions de masques, le Gouvernement prévoit de disposer de 24 millions de masques par semaine et de développer de prototypes de nouveaux masques, notamment réutilisables.

 

Ceci rappelé, il constate pourtant que seule une partie des masques a été mise à disposition des médecins et infirmiers de ville alors qu’ils sont nécessaires à leur protection et que la dotation de masques chirurgicaux est encore qualitativement insuffisante. Mais selon lui, la situation devrait connaître une nette amélioration au fil des jours et des semaines compte tenu des mesures annoncées, de sorte qu’il n’y a donc pas lieu de prononcer les mesures demandées par les requérants.

 

IV – Sur le confinement total (Ordonnance n° 439674 du 22 mars 2020)

Le Syndicat de Jeunes Médecins et l’Intersyndicale nationale des internes ont demandé au Conseil d’Etat d’ordonner une (i) interdiction totale de sortir de son lieu de confinement sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, (ii) l’arrêt des transports en commun, (iii) l’arrêt des activités professionnelles non vitales (alimentaire, eau et énergie, domaines régaliens) et (iv) l’instauration d’un ravitaillement de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement.

Après un rappel des mesures adoptées par le Gouvernement, le Conseil d’Etat a considéré que le confinement total pouvait être envisagé pour certaines régions, mais que :

    • les mesures de ravitaillement à domicile ne pouvaient être organisées pour l’ensemble de la population sans risquer de graves ruptures d’approvisionnement qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la population ;
    • les transports publics sont indispensables à l’activité des professionnels de santé, des services de sécurité ou des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation.

Ces circonstances ont donc conduit le Conseil d’Etat à refuser le confinement total et les autres mesures demandées. Mais au-delà de ce rejet, les juges des référés (l’affaire étant, compte tenu de sa nature, exceptionnellement examinée par une formation collégiale de trois juges) ont décidé d’examiner si les mesures décidées par le Gouvernement donnaient lieu à une inexacte interprétation ou une inégale ou insuffisante sanction de leur non-respect.

 

Or, le Conseil d’Etat considère que tel est le cas de trois mesures adoptées par le Gouvernement, auquel il enjoint donc de :

  1. préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
  2. réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs, à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
  3. évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.

 

Le gouvernement s’est depuis conformé à ces injonctions dans les articles 3 et 8 du décret publié dès le lendemain de l’ordonnance (décret n° 2020-293).

 

 

 

 

 

Pour aller plus loin