Licéité de la clause de résiliation unilatérale en matière de développement de portefeuille de brevets

26/08/21
Licéité de la clause de résiliation unilatérale en matière de développement de portefeuille de brevets

Propriété Industrielle

Commentaire de l’arrêt : Cass., Com., 31 mars 2021, n° 19-16.214

En bref

La clause de résiliation unilatérale stipulée dans un contrat à durée déterminée au bénéfice exclusif d’une seule partie peut valablement produire ses effets. Telle est la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 31 mars 2021.

 

Si cette décision concernait en premier lieu des sociétés parties à un contrat de valorisation de brevets, la solution est susceptible d’intéresser tous les praticiens familiers de la rédaction et de la négociation de contrats.

 

Et pour cause, la mise en œuvre d’une clause de résiliation anticipée peut mettre un terme soudain à un contrat important. Le cas échéant, il apparait particulièrement délicat pour le cocontractant, qui a négocié et accepté l’insertion d’une telle clause au contrat, d’empêcher son partenaire de mettre en œuvre la faculté de résiliation unilatérale qui lui a été laissée.

 

Les faits

En l’espèce, une société prestataire qui accompagne les entreprises dans la valorisation de leurs innovations par la structuration de leurs droits de propriété intellectuelle avait conclu un contrat avec une cliente dont l’objet était, d’une part, de renforcer et développer le portefeuille de brevets de la société cliente autour de sa technologie ; d’autre part, de développer un programme de licences.

 

Le contrat était conclu jusqu’à l’expiration de la protection du dernier brevet soumis audit acte, sauf résiliation anticipée. Le contrat a finalement été résilié avant terme par la société prestataire, en conséquence de quoi sa cliente l’a assignée en paiement de dommages-intérêts pour résiliation fautive du contrat et inexécution de ses obligations contractuelles.

 

L’absence de potestativité

La société cliente sollicitait du juge que la clause de résiliation mise en œuvre par la société prestataire soit réputée non écrite comme potestative.

 

Historiquement, une condition potestative fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher. Classiquement, toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige, comme le rappelait les anciens articles 1170 et suivants du Code civil dans leur rédaction applicable au litige.

 

La notion de potestativité n’est plus formellement mentionnée dans le Code civil depuis la réforme du droit des contrats français issue de l’ordonnance du 10 février 2016. Toutefois, son régime persiste aux termes de l’article 1304-2 de ce Code qui précise qu’ « est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. »

 

Au cas présent, la Haute juridiction adopte une approche très favorable à l’insertion de clause de résiliation discrétionnaire en validant le raisonnement de la Cour d’appel qui a considéré que :

« la clause litigieuse ouvrait seulement à l’une des parties la faculté de mettre un terme au contrat sans condition et n’avait pas pour effet de faire dépendre l’exécution de ce contrat d’un événement qu’une seule partie avait le pouvoir de faire survenir ou d’empêcher, ce dont il résulte que la clause n’affectait pas l’existence même de l’obligation mais seulement sa durée ».

 

Ce raisonnement, de pur droit, revient donc à condamner les clauses résolutoires qui permettent au débiteur de provoquer l’anéantissement rétroactif de son obligation, ainsi que les conditions suspensives qui autorisent le débiteur d’empêcher discrétionnairement la naissance de son obligation. Au contraire, l’aménagement contractuel du droit de résiliation au bénéfice du débiteur qui ne produit ses effets que pour l’avenir serait licite, en ce qu’il n’affecterait que la « durée » de l’obligation, et non son « existence ».

 

Une telle approche peut toutefois sembler artificielle dans la mesure où l’exécution de l’obligation objet du contrat semble ici bien dépendre de la seule volonté du débiteur, lequel a pu résilier le contrat de manière discrétionnaire sans être contraint par les obligations qu’il a pourtant souscrites.

 

Cette approche libérale contraste avec certaines décisions que la Cour de cassation a rendues par le passé, aux termes desquelles elle considérait plus classiquement qu’une clause de résiliation du contrat qui offre au seul cocontractant, la possibilité purement discrétionnaire de mettre fin au contrat avec un préavis très court, présentait un caractère purement potestatif et devait a fortiori être écartée (Cass., Com. 20 septembre 2011, n° 10-30.567).

 

Par cette décision sévère, il n’est pas exclu que la Cour de cassation ait entendu sanctionner le cocontractant désireux d’écarter des clauses longuement négociées et acceptées sans réserve au prétexte qu’elles lui sembleraient soudain illicite. Ainsi, le principe de prohibition des clauses consenties sous conditions potestatives de la part du débiteur cède ici le pas face à la volonté exprimée par les parties, lesquelles sont invitées à mesurer la portée de leurs engagements avant de s’obliger.

 

L’absence de déséquilibre significatif

La société cliente a également soutenu que la clause de résiliation litigieuse engendrait à son préjudice un déséquilibre significatif, en conséquence de quoi sa cocontractante devrait être condamnée à lui payer les frais induits par les brevets couverts par le contrat, outre des dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat.

 

A ce titre, les dispositions de l’ancien article L. 442-6 I 2° du code de commerce, aujourd’hui reprise à l’article L. 442-1 I. 1° de ce même code, permettent effectivement l’engagement de la responsabilité civile d’une personne exerçant certaines activités économiques qui, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, obtient ou tente d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie, ou apparait manifestement disproportionné au regard de la contrepartie consentie.

 

Ces dispositions, qui reviennent à sanctionner le déséquilibre significatif, font écho au régime consacré par l’article 1171 du Code civil, lequel s’appliquent quant à lui aux contrats d’adhésion dont les clauses non-négociables qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat sont désormais réputées non écrite.

 

En ce sens, la société cliente insistait notamment sur le fait que son dirigeant n’était pas en mesure d’appréhender les termes anglais d’un contrat de ce niveau de technicité juridique.

 

Ces arguments n’ont pas trouvé grâce aux yeux de la Cour de cassation, qui confirme l’arrêt d’appel qui a retenu, d’une part, que les négociations avaient duré plusieurs mois, au cours desquels le projet de contrat avait été amendé à plusieurs reprises à la demande de chacune des deux parties ; d’autre part, que l’asymétrie entre les conditions dans lesquelles chacune des parties pouvait faire usage de leur faculté de résiliation anticipée résultait de l’économie générale du contrat, la clause de résiliation pour convenance personnelle litigieuse trouvant son équivalent pour l’autre partie dans une clause différente du contrat. La Cour en déduit qu’aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties ne résultait de la clause litigieuse, laquelle a donc pu valablement produire tous ses effets.

 

Cet arrêt doit être l’occasion d’inviter les rédacteurs de contrat à la vigilance. S’il est normal de faire des concessions à l’occasion des négociations, il demeure toujours risqué de faire droit à l’insertion d’une clause susceptible d’offrir au cocontractant la faculté de réduire à néant tous les efforts et les investissements déployés par la partie à laquelle la stipulation est opposée.

 

Pour aller plus loin