Le Digital Services Act et le Digital Market Act : les points essentiels à retenir

08/01/21
Le Digital Services Act et le Digital Market Act : les points essentiels à retenir

Nous avions, dans le cadre d’une précédente publication, présenté la genèse et les premiers travaux relatifs à l’initiative de la Commission européenne baptisée « Digital Services Act » visant à moderniser le paysage règlementaire relatif aux services numériques.

 

Après plusieurs longs mois de préparation, ce sont finalement deux projets de règlementation qui ont été présentés le 15 décembre 2020 par la Commission européenne : la loi sur les services numériques (le « Digital Services Act ») et la loi sur les marchés numériques (le « Digital Market Act »).

 

En substance, ces textes ont pour objectifs :

  • s’agissant du Digital Services Act, de créer un espace numérique plus sûr dans lequel les droits fondamentaux de tous les utilisateurs de services numériques (réseaux sociaux, places de marché et autres plateformes numériques) seraient protégés ;
  • s’agissant du Digital Market Act, d’établir des conditions de concurrence équitables pour favoriser l’innovation, la croissance et la compétitivité des services numériques en Europe et au-delà.

Afin d’y voir plus clair, nous avons identifié les principaux piliers autour desquels se structurent ces deux projets, les deux premiers points ci-dessous étant relatifs au Digital Services Act alors que l’encadrement des « gatekeepers » constitue quant à lui le point structurant du Digital Market Act.

 

 

I. La consécration du statut d’hébergeur

Bien que le statut d’hébergeur ait été la cible de nombreuses critiques en raison du sentiment d’impunité qu’il pouvait inspirer, celui-ci n’a pas été abandonné mais est au contraire consacré par le Digital Services Act (voir sur ce point, notre précédente publication).

 

La philosophie de la Commission européenne est en effet sur ce point des plus claires : maintenir le statut d’hébergeur, qui constitue un pilier de la réglementation de l’internet, tout en redessinant les contours des obligations qui pèsent sur ces acteurs.

 

A noter que la Commission a pris soin de préciser que les plateformes ne devaient pas craindre de se voir refuser la qualification d’hébergeur au motif qu’elles mettraient en œuvre des mesures volontaires pour protéger leurs utilisateurs contre les biens, services et contenus illicites. Jusqu’ici, les plateformes craignaient en effet que la mise en œuvre de telles mesures puisse nourrir un plaidoyer en faveur d’une démonstration de leur « rôle actif », et ainsi les priver du régime de responsabilité limitée applicable aux hébergeurs. Le message est donc clair : pas de retour de flamme à craindre pour les plateformes qui souhaiteraient mettre en place de telles mesures proactives.

 

 

II. L’intensification de la lutte contre les biens, services et contenus illicites sur la Toile

Immédiatement, il convient de préciser que tous les intermédiaires en ligne offrant leurs services dans le marché unique, qu’ils soient ou non établis dans l’Union européenne, devront se conformer aux nouvelles règles. Les plateformes seront cependant, à certains égards, affectées de manière différentes selon leur taille. Le Digital Services Act prévoit en effet d’imposer des obligations plus contraignantes aux « très grandes plateformes » (les plateformes atteignant plus de 10 % des 450 millions de consommateurs en Europe), en raison des risques qu’elles représentent en matière de dissémination des contenus illicites.

 

Parmi ces nouvelles règles, on retient principalement l’obligation pour les plateformes de mettre en place des outils capables de faciliter le signalement de contenus illicites et traiter en priorité les plaintes émanant de certains « modérateurs de confiance », tels que des associations de lutte contre la discrimination. Sur ce point, on note, d’une part, que les obligations en termes de retrait des contenus ne porteront que sur les contenus dits illicites et non sur les contenus seulement « préjudiciables » comme cela avait parfois été abordé lors des discussions préliminaires et, d’autre part, que des efforts plus importants seront attendus des « très grandes plateformes ».

 

Afin de contrecarrer les risques de censure, le Digital Services Act prévoit la mise en place de garanties pour les utilisateurs, et notamment la possibilité pour ces derniers de contester les décisions de modération de contenu des plateformes.

 

Outre la question de la modération des contenus, sont également prévues de nouvelles obligations en matière de traçabilité des utilisateurs professionnels sur les marchés en ligne, afin d’aider à identifier les vendeurs de biens illégaux.

 

Enfin, des obligations de transparence (en matière de modération mais également par exemple en matière d’algorithmes utilisés dans le cadre de la publicité ciblée), à géométrie variable selon la taille des plateformes, viennent également façonner ce nouveau texte.

 

 

III. Encadrer les « gatekeepers » pour mieux les contrôler

Les « gatekeepers » (ou « contrôleurs d’accès »), ce sont ces plateformes numériques dites « structurantes » qui sont aujourd’hui devenues le passage obligé des relations économiques et sociales et qui ont la possibilité d’empêcher les nouveaux entrants d’accéder au marché.

 

Alors que l’idée avait fut un temps été abordée, aucune liste de « gatekeepers » n’a finalement été définie par la Commission dans le cadre du Digital Market Act. Pour identifier ces acteurs, il conviendra donc de s’en remettre aux critères dégagés par celle-ci, critères qui sont remplis si l’entreprise :

  • a une position économique forte (notamment en termes de chiffre d’affaires), une incidence significative sur le marché intérieur et est active dans plusieurs pays de l’UE ;
  • a une forte position d’intermédiation, ce qui signifie qu’elle relie une base d’utilisateurs importante à un grand nombre d’entreprises ;
  • occupe (ou est sur le point d’occuper) une position établie et durable sur le marché.

Les acteurs qualifiés de « gatekeepers » devront se conformer à un ensemble d’interdictions et d’obligations afin d’éviter un certain nombre de pratiques déloyales. L’objectif prôné par la Commission est en effet de redessiner les équilibres pour, en quelques sortes, placer les petits sur un même pied d’égalité que les gros.

 

Parmi ce nouvel arsenal de règles applicables aux « gatekeepers », figurent par exemple l’interdiction faites à ces entreprises de faire bénéficier les services et produits qu’ils proposent d’un traitement plus favorable en termes de classement, l’interdiction de préinstaller leurs propres applications sur des appareils, l’obligation d’assurer l’interopérabilité avec leur plateforme, ou encore par exemple l’obligation de partager avec leurs concurrents certaines données recueillies dans le cadre de leurs services.

 

L’approche se veut « dynamique » puisque le Digital Market Act précise que la Commission mènera des études de marché et aura ainsi la possibilité :

  • de qualifier une plateforme de « gatekeeper » quand bien même les seuils quantitatifs fixés dans le Règlement ne seraient pas atteints ;
  • d’imposer des « mesures correctives » supplémentaires (d’ordre financier mais pas seulement puisque la sanction pourrait aller jusqu’à la cession de certaines activités) en cas de non-respect systématique des obligations prévues ;
  • de revoir et d’adapter la liste des obligations et interdictions s’appliquant aux « gatekeepers ».

 

Les prochaines étapes ?

Un fois adopté, le texte final sera directement applicable dans toute l’Union européenne. Avant cela, le texte devra néanmoins être validé par les autres instances européennes, à savoir le Parlement européen et le Conseil de l’Europe selon la procédure législative ordinaire.

 

La version finale de ces textes ne pourrait donc voir le jour que dans de longs mois, de sorte que leur entrée en vigueur n’est pas envisagée avant 2022.

 

 

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