Projet de loi de modernisation de notre système de santé et relations des industriels avec les professionnels de santé : les nouveautés en perspective

14/01/16

Le projet de loi sur la modernisation du système de santé, dont le texte définitif a été adopté le 16 décembre 2015, actuellement devant le Conseil Constitutionnel, devrait apporter des changements à plusieurs dispositions régissant les relations entre les entreprises de santé et les professionnels de santé.

  • L’article 155, modifiant les conditions de la convention unique entre les industriels et les hôpitaux;
  • L’article 178 modifiant les conditions de la publication des liens d’intérêt par les industriels (« sunshine »), telles qu’elles avaient été établies par la loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité sanitaire du médicament;
  • L’article 180 prévoyant la remise à plat de la loi « anti-cadeaux », plus exactement de l’article L.4113-6 du code de la santé publique, modifié la dernière fois également par la loi du 29 décembre 2011.

En tout état de cause, cette loi devrait être promulguée dans le courant du mois de janvier, après que le Conseil Constitutionnel, saisi le 21 décembre dernier, aura statué.

 

1/ L’extension et la modification du cadre de la convention unique (article 155)

Introduite par la mesure 19 du contrat de filière du 5 juillet 2013, la convention unique est destinée à accélérer et faciliter la mise en place des recherches biomédicales à promotion industrielle dans les établissements de santé, afin de renforcer l’attractivité de la France dans le domaine de la recherche médicale. La France marquait en effet un retard important en terme de délais de signature des premiers contrats nécessaires mise en place des essais cliniques par rapport à d’autres Etats européens (120 jours en moyenne en France contre quelques jours dans certains Etats membres), qu’il était nécessaire de combler par des mesures de simplification.

Le mécanisme, détaillé dans une instruction de la DGOS du 17 juin 2014, prévoyait une convention type établie entre l’entreprise promoteur et le premier établissement de santé public dans lequel se déroule la recherche et dupliquée ensuite avec les autres établissements associés à la recherche.

L’avantage de ce dispositif est la simplicité, par l’existence d’un contrat type dont les clauses n’avaient pas à ètre rediscutées entre les partenaires et des grilles de surcoûts homogènes et négociées une fois pour toutes.

Par ailleurs, l’instruction prévoyait une souplesse en mentionnant que les incitations financières prévues dans ce cadre pouvaient ètre versées aux établissements de santé sur un compte de recette affectée, aux fondations hospitalières, à des groupements de coopération sanitaires ou à des GIE dont l’établissement de santé serait membre.

Un autre intérèt en termes de rapidité de ce dispositif était que, étant négocié avec l’hôpital et les investigateurs ne percevant pas d’ « avantage » au sens de l’article L.4113-6 du code de la santé puisqu’ils intervenaient en tant qu’agents publics, seule une procédure de notification aux instances ordinales départementales sur la base de l’article L.4113-9 du code de la santé publique devait ètre conduite (article 9 de la convention-type) et non une notification préalable pour avis avec préavis de deux mois.

L’article 155 apporte plusieurs modifications à ce cadre :

  • D’une part, la convention unique va désormais pouvoir s’appliquer aux établissements de santé privés, ce qui est positif en étendant à ces établissements cette mesure de simplification.
  • D’autre part, les nouvelles dispositions ouvrent la possibilité aux structures destinataires des contreparties financières versées par le promoteur d’être parties à la convention. Cette extension des signataires de la convention unique a été apportée de manière à permettre à d’autres structures que celles mentionnées dans la circulaire de la DGOS (par exemple les associations) de pouvoir entrer dans le mécanisme. Cependant, les conditions dans lesquelles ces structures, pour pouvoir être signataires, devront fonctionner et utiliser les fonds ainsi reçus doivent être prévues par décret. La convention type, telle que prévue actuellement par la circulaire DGOS, sera probablement également révisée dans ce cadre.
  • Ensuite, l’article prévoit que les investigateurs devront viser la convention. Ceci n’est pas une grande nouveauté dans la mesure où les investigateurs visaient déjà la convention type en application de la circulaire DGOS. En revanche, cette formalité devient maintenant une obligation légale.
  • Enfin, et c’est une modification importante, cet article prévoit que la convention devra ètre « transmise » au conseil national de l’Ordre des médecins. Cette disposition revient donc sur les termes de la circulaire DGOS qui prévoyait une notification sur la base de l’article L.4113-9, donc aux instances départementales. En revanche, cet alinéa manque de précision, puisqu’il n’est pas indiqué sur quel fondement juridique et à quel effet la convention doit ètre « transmise ». A noter toutefois que plusieurs interventions lors des débats parlementaires, et notamment une intervention de la Ministre, font état d’une transmission a posteriori, après donc la signature de la convention unique.
    En tout état de cause, l’article L.4113-6 n’étant pas visé expressément par la loi, on voit mal comment juridiquement il pourrait, ainsi que les sanctions pénales qu’il implique potentiellement, s’appliquer. Les interventions lors des débats parlementaires évoquant une transmission à posteriori vont d’ailleurs dans le sens d’une non-application de cette disposition, puisque l’article L.4113-6 met en place un contrôle a priori. Ce point-là devra cependant ètre éclairci pour éviter les difficultés d’interprétation et d’application avec les instances ordinales.

 

2/ La modification du dispositif de publication des liens des industriels de santé (article 178)

La loi apporte plusieurs modifications, dont certaines importantes, au dispositif de publication des liens par les industriels, tel qu’il avait été mis en place par la loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité sanitaire des produits de santé et son décret d’application du 21 mai 2013.

  • La plus importante de ces modifications porte sur les informations à publier s’agissant des conventions. Le précédent dispositif de l’article L.1453-1 du code de la santé publique prévoyait la publication de l’ « existence » des conventions, et plus spécifiquement leur bénéficiaire, leur objet et leur date, ainsi que les avantages prévus dans ces conventions. Ces éléments ont été précisés dans le décret du 21 mai 2013 et dans une circulaire d’interprétation publiée par la DGS le 29 mai 2013 indiquant notamment que les rémunérations, salaires ou honoraires perçus en contrepartie d’un travail ou d’une prestation de service n’étaient pas considérés comme des avantages et n’avaient pas à ètre publiés. A la suite d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat contre le décret et la circulaire, le Conseil d’état a considéré que cette partie de la circulaire n’était pas conforme à la loi. Un amendement parlementaire est venu modifier le texte de l’article L.1453-1 pour prévoir désormais que pour chaque convention, devra ètre publié son objet précis, sa date, son bénéficiaire direct et son bénéficiaire final, ainsi que le montant. Il est cependant important de souligner que le Conseil constitutionnel a été saisi par les parlementaires de l’inconstitutionnalité de cet article, notamment pour atteinte à la vie privée et à la liberté d’entreprendre et devra donc se prononcer sur ces points. A noter que la loi de 2011 n’ayant pas été déférée au Conseil constitutionnel, celui- ci n’a pas été amené jusqu’à présent à se prononcer sur ce sujet.
  • Une autre modification importante sur laquelle le Conseil Constitutionnel se prononcera peut-être est la suppression de l’interdiction de réindexation des données, qui avait pourtant été introduite à la suite d’un avis de la CNIL sur le précédent dispositif. La loi prévoit en effet – sous réserve de la position du Conseil Constitutionnel – que les données issues du site public sont réutilisables.

Il est donc important d’attendre la décision du Conseil Constitutionnel pour savoir quelle seront les nouvelles conditions de publication des liens.

 

3/ Reforme de la loi « anti-cadeaux » – article L.4113-6 du code de la santé publique- par ordonnance (article 180).

L’article L.4113-6 (initialement article L.365-1 du code de la santé publique adopté en 1993), devenu illisible à la suite de plusieurs séries de modifications législatives (dont les dernières apportées par la loi de 2011 précitée), va être réformé par voie d’ordonnance dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.

L’article 180 donne un certain nombre d’orientations de révision :

  • L’extension du champ des entreprises concernées à l’ensemble des personnes fabriquant ou commercialisant des produits de santé à finalité sanitaire ou des prestations de santé (à l’heure actuelle, l’article L.4113-6 ne s’applique qu’aux entreprises commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale) ;
  • L’extension du champ des personnes concernées par l’interdiction de recevoir des avantages (ensemble des professions de santé et étudiants, fonctionnaires et agents publics participant à l’élaboration des politiques publiques de santé ou de sécurité sociale et personnes apportant leur concours aux conseils commissions et groupes de travail dans le domaine de la santé).
  • Les conditions de dérogation à l’interdiction de recevoir ou d’offrir des avantages vont ètre définies, ainsi que le régime d’ « autorisation » de ceux-ci par l’autorité administrative ou l’ordre concerné. Cet alinéa est important car il oriente la réforme vers un régime nouveau d’autorisation (alors que le système actuel est un mécanisme d’avis qui ne lie pas les entreprises), autorisation qui pourrait ètre rendue soit par les instances ordinales, soit par une autorité administrative. La réforme pourrait donc être très profonde, tant s’agissant de l’introduction d’un régime d’autorisation, dans des conditions qui restent à définir, que de nature des instances en charge de délivrer cette autorisation, puisqu’il pourra s’agir d’ « autorités administratives », à définir également, et non plus seulement des instances ordinales.
  • L’ordonnance devra également définir les avantages exclus du champ du dispositif et préciser les conditions dans lesquelles ils devraient être admis.

Le même article indique également que seront prises par ordonnance des mesures d’harmonisation et de mise en cohérence des dispositifs de sanctions applicables à la loi « anti-cadeaux » et au dispositif de transparence des liens. Là encore les modifications pourraient être importantes, compte tenu des différences existant à l’heure actuelle en termes de sanctions entre ces deux dispositifs.

En conclusion, il faut donc s’attendre pour courant 2016 ou début 2017 (en fonction des dates de publication des différents textes d’application) à des modifications des conditions juridiques qui présidaient jusqu’alors aux relations avec les professionnels de santé en la matière, avec probablement pour conséquences corrélatives des aménagements des contrats ou procédures applicables à ces différents domaines.

 

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Blandine Fauran, Associée De Gaulle Fleurance & Associés

Jean-Marie Job, Associé De Gaulle Fleurance & Associés