Covid-19 – Les prix de transfert en pleine mutation… quand la supply chain provoque une réaction en chaine

29/04/20
Covid-19 – Les prix de transfert en pleine mutation… quand la supply chain provoque une réaction en chaine

Le nouveau corona virus est un virus mutant puisqu’il résulte de la mutation d’un virus existant. Il a entraîné, dans son sillage, une mutation à l’échelle planétaire qu’elle soit sociale, sociétale, économique ou politique. Les prix de transfert n’échappent pas à la règle !

 

La pandémie du COVID-19 est une épidémie subie simultanément à l’échelle mondiale au plan sanitaire mais aussi, par voie de ricochet, au plan économique. Les relations internationales s’en trouvent profondément affectées.

Or, les prix de transfert sont précisément au cœur de la régulation des flux intra-groupes entre entreprises situées dans des juridictions différentes. Ils sont les garants « d’un ordre international des prix » afin d’assurer le caractère normal et juste du prix des transactions entre des acteurs internationaux faisant partie d’un même groupe et ayant des échanges réguliers et intenses dans certains secteurs.

 

Parmi ces acteurs, nombreux sont ceux ayant adopté un modèle prix de transfert mettant en jeu une entité leader (« le principal ») et des entités exerçant des fonctions dites de « routine » présentant un faible risque et bénéficiant d’un niveau de marge garanti.

 

Or, la pandémie a redistribué les cartes entraînant dans bien des cas des chutes brutales de production, de distribution voire des fermetures de sites dans certaines juridictions générant alors une réaction en chaîne dans la gestion des transactions intragroupes et suscitant des problématiques de repositionnement complexes.

 

1- La nécessaire redistribution des cartes – Comment réallouer les profits et les pertes sans se mettre à risque au plan fiscal ?

 

Tout d’abord, la question de la nécessaire réallocation des profits et des pertes avec en particulier en ligne de mire le niveau de profit garanti à certaines entités va se poser de façon incontournable. Comment dans un contexte inédit recentrer valablement l’équilibre économique et comment appréhender la perte consolidée, sans se mettre à risque au plan fiscal ?

 

S’il est une certitude, c’est que le concept de force majeure est étranger au droit fiscal. Dès lors, toute modification dans le paysage fiscal des groupes multinationaux sera appréciée à l’aune des principes et mécanismes régissant les politiques de prix et de facturation des transactions déployées par ces groupes en rythme de croisière.

 

Comment alors parvenir à respecter la politique en place, tout en l’adaptant comme l’imposent les effets dévastateurs de la pandémie ? Il s’agit là encore d’un travail d’équilibriste périlleux avec à la clef des risques fiscaux réels et des enjeux financiers très significatifs.

 

Acculés, certains groupes multinationaux n’ont pas le choix. Il en va de leur survie.

 

Le premier constat : remettre en cause la politique de prix de transfert en place semble constituer une erreur et ne semble pas être une voie pertinente eu égard au caractère élevé des risques fiscaux que cela pourrait engendrer.

 

Plutôt que de refondre la politique de prix de transfert pré existante, une solution alternative pourrait consister à « jouer » sur les marges localement.

 

En effet, la variation du taux de marge pratiqué est, en principe, parfaitement tolérée. Toutefois, si rien n’interdit de réviser une marge, c’est à la condition que cette dernière puisse être sous-tendue par une étude de comparables qui établira que pour un marché donné et une activité donnée le taux retenu est « arm’s length », entendez conforme.

 

Or, le problème est qu’il existe toujours un décalage entre le taux de marge retenu par une entreprise et les benchmarks qui ont permis de corréler ce taux et qui sont assis sur des données financières vieilles de plus d’un an a minima.

 

En d’autres termes, modifier son taux de marge revient à prendre un pari sur l’avenir en préjugeant que les futurs benchmarks viendront étayer le taux retenu comme étant conforme aux pratiques de marché et correspondant à un taux de pleine concurrence.

Et que dire si l’entreprise est contrainte de réduire sa marge à néant : elle devrait alors être en mesure de rapporter la preuve que dans une relation commerciale avec un tiers elle aurait obtenu de ce tiers qu’il renonce à toute marge, c’est à dire qu’il accepte de vendre son bien « at cost ».

Ainsi, ce n’est que lorsque l’administration fiscale contrôlera les « années COVID-19 » c’est-à-dire, plutôt à partir de 2021, 2022 pour les années 2019, 2020 et 2021, que l’avenir aura statué sur le fait de savoir si l’ajustement de marge réalisé en 2020 dans l’urgence pour juguler la crise financière était ou non acceptable.

 

Second constat : la tension financière induite par la pandémie pourra aussi malheureusement jouer sur la réalité des prix de transfert, ces derniers étant déconnectés de la réalité des encaissements. En effet, les prix de transfert sont assis sur la base des prix reconnus et non encaissés. Or, l’absence de paiement par le co-contractant justifiée par le fait que lui-même n’a pas été payé et ne dispose donc pas de la trésorerie nécessaire pour respecter ses engagements, génèrera une distorsion entre le prix reconnu dans les comptes (lequel fonde les prix des transferts) et la réalité de la trésorerie.

 

2- Les droits de douane : un risque collatéral réel

 

Dans un second temps, si tant est que la variation de marge puisse être valablement supportée par des études de comparables ultérieures, l’entreprise pourrait se voir exposer en matière de droits de douane. En effet, la logique de détermination du prix dans les prix de transfert n’est pas alignée sur celle qui prévaut en matière de droits de douane. Alors que les droits de douane se calculent sur la base de la valeur réelle de l’objet, les prix de transfert intègrent dans le prix de vente le paramètre de la marge pouvant ainsi aboutir à un prix de vente final décorrélé de la valeur réelle au sens des droits de douane.

 

Cette dualité pourrait alors entraîner des redressements significatifs en matière de droits de douane, l’administration considérant que le prix de la marchandise a été indûment décoté pour des besoins de marge en matière de prix de transfert.

 

Ainsi, la réduction significative du prix de vente d’un même bien dans le contexte de la pandémie par rapport à son prix juste avant, par l’effet de la marge, pourrait être remise en cause par l’administration pour la détermination de l’assiette des droits de douane dès lors qu’elle aura conduit à obérer le montant des droits dus.

 

Cette situation pourrait conduire à des redressements en cascade.

 

3- Les flux de financements intragroupes : le maillon faible

 

La modification du circuit économique va mécaniquement se doubler d’une modification des flux de financement.

 

En effet, les flux internationaux régulés par les prix de transferts sont interconnectés à la problématique des besoins en financement du groupe et, partant, aux flux de trésorerie intragroupes … il s’agit de l’un des maillons indissociables de la supply chain.

 

Déjà en rythme de croisière, toutes les entreprises, y compris les activités de fabrication, dépendent des flux de trésorerie pour répondre à des besoins importants, en particulier, la poursuite de la croissance et le maintien du processus de fabrication. Malheureusement, il est possible qu’une entreprise en pleine croissance et en bonne santé soit pauvre en liquidités. Cela peut être désastreux pour les fabricants qui ont besoin d’acheter des matières premières pour fabriquer leurs produits.

Que dire alors lorsque la situation financière est déjà très dégradée par l’effet d’une crise économique sans précédent.

 

Les besoins de financements intragroupes tout comme les garanties sur les prêts externes risquent d’être très importants.

 

Tout d’abord, les groupes devront se conformer aux dernières publications de l’OCDE en date du 11 février 2020 en qualifiant leurs transactions financières en dette ou capital en fonction de leurs caractéristiques et finalités.

 

Ensuite, les groupes disposeront de plusieurs alternatives, par exemple :

 

Une piste permettant d’accroître la trésorerie à un niveau local pourrait consister pour l’entreprise française « leader » à renoncer à percevoir des managements fees au titre de fonctions support qu’elle rend ou des redevances dans le cadre des contrats de licence qu’elle détient. Afin d’éviter toute problématique d’acte anormal de gestion, l’entreprise créancière devrait alors matérialiser cette renonciation sous la forme d’un abandon de créances à caractère financier qui ne sera pas déductible au plan fiscal, au niveau de l’entité l’ayant octroyé alors qu’il sera pleinement taxable chez l’entité bénéficiaire, aggravant la pression fiscale.

 

Afin de fluidifier le remboursement des prêts intragroupes, l’entreprise créancière pourrait aussi, à l’instar des taux de marge, décider de revoir le taux d’intérêt des prêts intra-groupes en cours, mais cela pourrait soit jouer défavorablement sur le quantum de charges déductibles en application des règles de limitation de la déductibilité des charges en fonction du taux (articles 39-1-3° et 212-I-a du CGI ou taux de marché pouvant même être sous-tendu par le recours au référentiel obligataire1), soit à l’inverse en cas de réduction de taux trop importante pouvant entraîner une requalification du prêt en subvention indirecte non déductible chez l’octroyant et taxable chez le bénéficiaire.

 

Bref, le groupe aura le choix des armes : prêts intra-groupes, renonciations à recettes, prêts externes assortis de garanties financières etc.

 

Mais il devra, en tout état de cause, retenir une approche financière stratégique. Notamment, le choix du mode de financement retenu devra intégrer les contraintes imposées par l’exécutif qui en réponse à la pandémie a émis dans une FAQ (version à jour du 2 avril 2020) imposant l’interdiction pour les grandes entreprises (s’entendant des entreprises employant au moins 5000 salariés ou ayant un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 1,5 milliards d’euros, en ce inclus les groupes) de procéder à des distributions de dividendes en 2020.

 

Il ne faudrait pas dès lors par le jeu des taux de prêts intragroupes, des renonciations à recettes etc. concentrer la trésorerie au niveau d’une entité nationale tombant sous le coup de cette interdiction, créant :

  • soit un phénomène de « cash trap » en gelant le cash dans l’entité pour ne pas se mettre en contravention avec l’interdiction de distribuer,
  • soit [dans l’hypothèse où il serait passé outre l’interdiction], une remise en question des aides financières d’Etat allouées à d’autres entités du groupe plaçant ces dernières dans une situation financière inextricable (les aides consenties type PGE, report de charges etc. devant alors être restituées).

 

La localisation de la trésorerie s’avère donc un enjeu crucial afin de garantir la circulation libre, fluide et pérenne du cash dans le circuit économique.

 

4- Le spectre de la double imposition

 

L’élément d’extranéité inhérent aux relations internationales et partant aux prix de transfert risque de rendre la problématique du droit d’imposer encore un peu plus épineuse. Il est vraisemblable que chaque état cherchera à se tirer la couverture pour renflouer ses propres caisses siphonnées par des florilèges de mesures d’aides financières, de report, de gel d’imposition destinées à soutenir des entreprises au bord du chaos.

 

Dans un monde économique exsangue, il est probable que les états financièrement à vif et parfois vacillants cherchent à s’arroger le droit d’imposer de façon unilatérale générant pour les entreprises un risque accru de double imposition. Le climat délétère issu de la pandémie risque de reléguer les procédures et mécanismes d’entente, d’échange et de compromis qui régulent normalement les relations internationales en particulier dans le domaine des prix de transferts (ex. MAP, APP etc.) au second plan, la gestion des rapports interétariques passant davantage par des mesures commandées par l’urgence.

 

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Ce qui est sûr c’est qu’attendre pour prendre des mesures appropriées en matière de prix de transfert peut s’avérer dangereux. Il convient d’agir dès à présent afin d’anticiper les arbitrages qui devront être faits, tant les enjeux financiers peuvent s’avérer très significatifs. Pour ce faire, il va falloir procéder à un audit approfondi et précis des situations locales, à une cartographie des risques en jeu et sur cette base fixer les ajustements pouvant être réalisés.

Il s’agira de démarches à entreprendre au cas par cas et qui supposeront un accompagnement par le conseil fiscal.

 

Au final, il s’agira de prendre des décisions mesurées et stratégiques permettant à la fois d’intégrer les risques sous-jacents (quantum et amplitude) et d’assurer pour l’avenir une parfaite adéquation entre la politique de prix de transfert pratiquée et la répartition effective des fonctions et des risques dans le groupe.

 

Encore faudra-t-il pouvoir sous-tendre par une documentation appropriée les ajustements qui auront été induits par des circonstances hors normes.

 

 

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