2 minutes pour comprendre : l’impact de la nomination de la Juge Amy Coney Barrett à la Cour Suprême US dans les affaires IP-IT

20/11/20
2 minutes pour comprendre : l’impact de la nomination de la Juge Amy Coney Barrett à la Cour Suprême US dans les affaires IP-IT

Alors que la Cour suprême des Etats-Unis a été au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle, retour sur les changements à attendre dans les affaires IP-IT suite au remplacement de la Juge Ruth Bader Ginsburg par la Juge Amy Coney Barrett.

 

Contexte

À la suite du décès de la Juge Ginsburg, le président américain a désigné pour lui succéder Mme Amy Coney Barrett, juge fédérale à la Cour d’appel des États-Unis pour le septième circuit depuis 2017.

 

Cette nomination a occasionné un vif débat politique puisqu’elle est intervenue quelques semaines seulement avant l’élection présidentielle et visait à renforcer l’orientation conservatrice de la Cour suprême (six sièges contre trois) pour plusieurs décennies (Amy Coney Barrett est âgée de 48 ans et les magistrats nommés à la Cour suprême le sont à vie). Le 26 octobre 2020, la Juge Barrett a été confirmée au Sénat et a fait son entrée au sein de la plus haute juridiction fédérale américaine en prêtant serment le jour même.

 

Critiquée pour ses positions conservatrices sur les questions de société alors que la Juge Ginsburg est considérée comme une icône progressiste et féministe, ce clivage transparaît-il également des affaires IP-IT qu’elles ont respectivement eu à juger ?

 

Approche de la Juge Ginsburg

Les observateurs ont relevé que la Juge Ginsburg, persuadée que l’innovation est le moteur de l’économie de marché, était particulièrement attachée aux intérêts des auteurs et titulaires de droits, comme elle a pu le montrer dans plusieurs affaires.

 

La Juge Ginsburg s’est notamment prononcée en faveur de journalistes engagés par des éditeurs de presse écrite et dont les articles étaient ensuite reproduits, sans avoir obtenu leur autorisation préalable, dans des bases de données électroniques tierces et sous un autre format (New York Times Co. v. Tasini).

 

Dans une autre affaire, alors qu’il était soutenu que l’extension par le Congrès de la durée de protection des droits d’auteur de 50 à 70 ans après la mort de l’auteur (1998 Copyright Term Extension Act) restreignait la liberté d’expression garantie par le 1er Amendement de la Constitution, la Juge Ginsburg s’est positionnée en faveur de l’allongement de la protection et donc dans un sens plus favorable aux intérêts des auteurs (Eldred v. Ashcroft).

 

La Cour suprême a perdu une ardente protectrice des intérêts des titulaires de droits de propriété intellectuelle. Sa remplaçante a-t-elle la même approche ?

 

Approche de la Juge Barrett

Lors de son audition devant le Sénat le 14 octobre 2020, le Sénateur Thom Tillis, président de la sous-commission sur la propriété intellectuelle, avait demandé à la Juge Barrett s’il revenait davantage à la Cour suprême ou au Congrès de se saisir de l’adaptation du droit d’auteur à l’environnement digital, alors que le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) a pu être qualifié de « relique de l’ère Myspace dans un monde TikTok ». La Juge Barrett avait répondu que s’agissant selon elle de questions politiques, elles devaient être traitées par le pouvoir législatif et non par les tribunaux, adoptant ainsi une approche purement textualiste.

 

Bien que la Juge Barrett n’ait statué que sur quelques affaires IP-IT au cours des trois années où elle a siégé à la Cour d’appel des États-Unis pour le septième circuit, ses décisions semblent indiquer qu’elle est particulièrement attachée à la lettre des textes adoptés par le Congrès (J.S.T. Corp. v. Foxconn Interconnect Technology Ltd. ; Ariel Investments, LLC v. Ariel Capital Advisors LLC et PMT Mach. Sales Inc. v. Yama Seiki U.S. Inc.).

 

Ainsi, dans une affaire concernant l’évaluation des dommages et intérêts selon qu’une compilation constitue une œuvre unique ou un ensemble d’œuvres différentes, la Juge Barrett a rappelé qu’il convient d’accorder un poids prépondérant au texte de l’article 504(c)(1) du Copyright Act prévoyant que « toutes les parties d’une compilation ou d’une œuvre dérivée constituent une seule œuvre », et donc à la décision des artistes de regrouper les œuvres ou de les publier séparément (Sullivan v. Flora Inc.).

 

Le fait que la Juge Barrett soit une textualiste convaincue pourrait favoriser une forme de prévisibilité pour les titulaires de droits. En ce sens, la Juge Barrett rejoint l’approche adoptée par plusieurs autres juges de la Cour suprême dans les dernières affaires IP-IT pour lesquelles les tentatives des juridictions inférieures et de l’USPTO (United States Patent and Trademark Office) d’élaborer des règles s’écartant des textes en vigueur ont toutes été rejetées (Halo Electronics, Inc. v. Pulse Electronics, Inc. ; Samsung Electronics Co. v. Apple, Inc. ; SAS Institute v. Iancu ; Romag Fasteners Inc. v. Fossil Inc. ; Lucky Brand Dungarees v. Marcel Fashions Group Inc. et USPTO v. Booking.com B.V.).

 

Mais cette approche rend plus improbable une évolution de la Cour suprême vers une interprétation des textes en vigueur dans un sens qui permette l’émergence de nouvelles technologies ou de nouvelles formes d’usage.

 

Enjeux et conséquences

La disparition de la Juge Ginsburg est survenue quelques jours seulement avant l’audience de plaidoiries du 7 octobre 2020 devant la Cour suprême dans l’affaire Google LLC v. Oracle America Inc., une affaire majeure en matière de droits d’auteur et de logiciels.

 

Dans cette affaire, la Cour suprême devra décider au printemps 2021 si la protection du droit d’auteur s’étend à une interface logicielle (API) et si l’utilisation non autorisée d’une API par des tiers dans le cadre de la création de nouveaux logiciels – une pratique largement développée – peut bénéficier de l’exception de « fair use » au droit d’auteur. La réponse que donnera la Cour suprême à ces questions aura un impact déterminant sur l’industrie informatique car une décision en faveur d’Oracle renforcerait la protection des logiciels par le droit d’auteur mais entraverait, selon Google, le développement de nouvelles applications et donc l’innovation.

 

On ne saura jamais si la Juge Ginsburg aurait pu convaincre ses collègues de statuer en faveur d’une protection renforcée du droit d’auteur. Mais il est sûr que la position de la Cour sera scrutée avec beaucoup d’attention par l’industrie tant aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde.

 

 

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