
Agent commercial, quelles sont les actus ? Partie III
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La rupture du contrat d’agent commercial constitue un moment particulièrement sensible dans la relation entre mandant et agent commercial, tant les conséquences juridiques et financières peuvent être lourdes. Si, en principe, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en cas de cessation du contrat, il en va autrement en cas de faute grave.
Cette troisième et dernière partie s’intéresse à la fin de la relation d’agence commerciale, en mettant l’accent sur la caractérisation jurisprudentielle de la faute grave de l’agent, souvent invoquée par les mandants pour tenter d’échapper au versement de l’indemnité de rupture. Elle aborde également les modalités de notification de la rupture, dont la rigueur rédactionnelle conditionne parfois l’issue du litige, ainsi que la question des circonstances postérieures à la résiliation, que la jurisprudence refuse de manière constante de prendre en compte dans le calcul de l’indemnité.
Autant de points qui illustrent l’exigence de vigilance dans la phase de rupture du contrat d’agence commerciale.
- Cour d’appel de Rennes, 14 janvier 2025, n° 23/05943 : la caractérisation de la faute grave de l’agent commercial
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Rennes a été amenée à se prononcer sur la caractérisation de la faute grave de l’agent commercial, au sens des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce.
En mars 2021, la société CLARA a mandaté la société DISSANI pour promouvoir et négocier, de manière exclusive, la vente de ses produits sur l’ensemble du territoire français, y compris la métropole, la Corse et les DOM-TOM. En contrepartie de cette exclusivité, le contrat imposait à DISSANI un objectif minimum de chiffre d’affaires net HT de 2 000 000 € par an, à atteindre d’ici la fin de l’année. Pour assurer le suivi de cet engagement, l’agent commercial devait transmettre un rapport écrit trimestriel à la société CLARA, détaillant l’évolution de ses performances et la progression vers l’objectif fixé.
Constatant la lente progression du chiffre d’affaires en 2021, le mandant a mis en demeure la société DISSANI de lui fournir un rapport détaillant son activité. La réponse de la société DISSANI, jugée insatisfaisante par la société CLARA, a conduit cette dernière à mettre fin à la relation commerciale avec effet immédiat, reprochant à son agent commercial des fautes graves de nature à le priver de son droit à indemnité de rupture.
La société DISSANI a alors assigné la société CLARA afin de réclamer le versement de cette indemnité de rupture. Débouté en première instance, l’agent commercial a interjeté devant la Cour d’appel de Rennes.
La Cour d’appel infirme le jugement de première instance : la preuve de la faute grave de l’agent commercial n’est pas rapportée, une simple absence d’une évolution significative du chiffre d’affaires ne pouvant caractériser une faute grave. La Cour d’appel relève au contraire que l’émission de factures par l’agent commercial attestait du travail accompli, d’autant qu’il n’était pas démontré qu’il résultait exclusivement de démarches auprès des clients historiques de la société CLARA.
En outre, la Cour d’appel souligne la qualité de la relation d’affaires ayant existé entre l’agent commercial et la société CLARA, ainsi que le fait que le versement des commissions n’avait jamais été interrompu au cours de la relation commerciale.
Cet arrêt revient sur la rigoureuse exigence probatoire à laquelle est soumise le mandant en cas de rupture du contrat d’agence commerciale pour faute grave de l’agent. La faute grave ne peut se déduire des seuls objectifs commerciaux stagnants, même en présence d’une clause d’objectif minimum de chiffre d’affaires.
- Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 décembre 2024, n° 23-19.820 : la faute grave de l’agent et son droit à indemnité, attention à la rédaction de la lettre de rupture
En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (article L. 134-12 du Code de commerce). L’agent perd son droit à indemnité notamment si « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent » (article L. 134-13 du Code de commerce).
Dans cette affaire, la Cour d’appel a jugé que l’agent avait commis des fautes et erreurs lors de chantiers, et qu’il avait « de façon générale » suscité le mécontentement des clients, justifiant qu’il soit privé de son droit à réparation conformément à L. 134-13 du Code de commerce.
La Cour de cassation censure les juges d’appel au double motif que (1) le mandant « n’alléguait pas, dans la lettre de résiliation, que l’un ou l’autre des manquements relevés était à lui seul constitutif d’une faute grave, mais seulement que la répétition de ces fautes était constitutive d’une faute grave », et (2) que les juges d’appel avaient imputé à l’agent des fautes « dont il n’avait pas été fait état dans la lettre de résiliation ».
Le second motif de censure n’appelle pas de commentaires particuliers : il est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui, depuis 2022, exige que la lettre de résiliation vise précisément les fautes reprochées à l’agent[1] sans qu’il ne soit possible, pour le mandant, d’alléguer de manquements graves de l’agent postérieurement à la rupture du contrat.
Le premier motif de censure est plus surprenant : selon la Cour, la répétition de manquements ne pourrait pas caractériser une faute grave. Pourtant, en pratique, l’on peut aisément imaginer des manquements qui, pris isolément, ne sont pas d’une gravité suffisante à justifier la résiliation du contrat sans indemnité, mais qui, du fait de leur répétition rendent impossible le maintien du lien contractuel. Manifestement, la Cour entend privilégier une appréciation plus stricte de la faute grave, excluant qu’elle puisse exister dans la répétition de manquements qui, en soi, ne sont pas d’une gravité suffisante à justifier une résiliation.
Une décision riche d’enseignements pour les rédacteurs des lettres de résiliation : il convient d’identifier clairement dans la lettre de rupture les manquements graves qui la justifient et, s’il y a plusieurs manquements, de caractériser, pour chacun d’eux les raisons pour lesquelles il caractérise en soi une faute grave.
- Cour de cassation, Chambre commerciale, 29 janvier 2025 – n° 23-21.527 : les circonstances postérieures à la résiliation du contrat d’agent commercial ne peuvent pas être prises en compte pour calculer son indemnité de fin de contrat
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait cru pouvoir prendre en compte, pour diminuer le montant de l’indemnité légale de fin de contrat de l’agent commercial, les circonstances postérieures à la rupture du contrat. Précisément, pour fixer l’indemnité de cessation de contrat, la Cour d’appel avait relevé que le contrat résilié ne comportait aucune clause de non-concurrence, et que l’agent avait ainsi pu conclure un nouveau contrat immédiatement après, en vue de prospecter la même clientèle pour un autre mandant.
Cette motivation est censurée par la Cour de cassation qui, au visa de l’article L. 134-12 alinéa 1er du Code de commerce, indique que (i) en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, (ii) l’indemnité a pour effet de compenser la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation de la clientèle commune, (iii) et qu’il n’y a donc pas lieu de tenir compte des circonstances postérieures à la cessation du contrat telles que la conclusion par l’agent d’un nouveau contrat.
La solution, qui n’est pas nouvelle (Cass. com., 16 nov. 2022, n° 21-10.126), ne va pas forcément de soi. Si l’indemnité a pour effet « de compenser la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation de la clientèle commune », pourquoi la nouvelle situation de l’agent commercial devrait-elle être ignorée dans le calcul de l’indemnité ? D’autant qu’en l’espèce l’agent commercial prospecte la même clientèle mais pour un autre mandant.
En réalité, en la matière les juges ont une approche forfaitaire de l’indemnité, la fixant le plus souvent à hauteur de deux années de commission, de manière assez automatique sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve du préjudice. Cette approche (qu’on l’approuve ou pas) revient, de fait, à tordre les principes directeurs de la responsabilité civile en particulier celui de la réparation intégrale qui vise à s’assurer d’une stricte équivalence entre la réparation et le dommage, puisque finalement l’agent est indemnisé de manière automatique, sans que l’indemnité ne puisse être ajustée au préjudice effectivement subi.
Par ailleurs, la solution rappelle celle adoptée en matière d’indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies où les juges selon une formule devenue usuelle, indiquent qu’il n’y a pas « lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture » pour déterminer le préavis raisonnable[2].
[1] Cass, Com, 16 nov. 2022, n° 21-17.423 : « En considération de l’interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité »
[2] Exemple : CA Paris, 1er décembre 2022, n°20/01714
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