
Agent commercial, quelles sont les actus ? Partie I
Qualifié parfois de « chouchou du droit de la distribution »[1], l’agent commercial bénéficie d’un régime légal protecteur, codifié aux articles L. 134-1 à L.134-17 du Code de commerce.
L’analyse des décisions récentes en la matière confirme ce statut et apporte des éclairages importants pour les praticiens s’agissant notamment de la définition de l’agence commerciale, les modalités d’exercice, les conditions de la rupture et de l’appréciation de la faute grave de l’agent, souvent invoquée pour priver l’agent de son indemnité de fin de contrat.
Entre confirmations de principes établis et éclairages bienvenus, ces décisions méritent une attention particulière. Tel est l’objet du présent panorama de jurisprudence, structuré en trois articles : la définition de l’agent commercial, les modalités d’exercice de son activité, puis la fin du contrat (résiliation, indemnité et faute grave).
La première partie s’attachera ainsi à revenir sur les critères de qualification de l’agent commercial que la jurisprudence récente continue d’affiner, notamment dans des situations où la frontière avec d’autres formes d’intermédiation commerciale s’avère particulièrement ténue.
- Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 novembre 2024, n° 23-16.948 : l’indépendance de l’agent commercial : condition essentielle pour bénéficier du régime protecteur
Dans cette affaire, la société Crossject a confié à la société Scientex la mission de développer des partenariats commerciaux, avec une rémunération fixe ainsi qu’une rémunération variable sous forme de bons de souscription d’actions.
Après cinq ans de collaboration, Crossject a notifié à Scientex le non-renouvellement du contrat. Se prévalant du statut d’agent commercial, Scientex a alors assigné Crossject en paiement de diverses sommes, notamment au titre de l’indemnité de fin de contrat et de commissions impayées.
La Cour de cassation a approuvé les juges d’appel d’avoir jugé la non-applicabilité du régime de l’agence commerciale, faute d’indépendance de la société Scientex vis-à-vis de la société Crossject, condition essentielle pour bénéficier du régime. La Cour de cassation a notamment relevé que :
- La partie variable de la rémunération du partenaire consistait en l’attribution de bons de souscription d’actions, ce qui faisait de la société Scientex une associée de la société Crossject, incompatible avec l’indépendance requise en tant qu’agent commercial ;
- La validation et le financement par le mandant des outils nécessaires à l’exécution du mandat par le mandataire sont également contraires à la condition d’indépendance dans la mesure où l’agent commercial doit décider seul des moyens matériels et humains qu’il affecte à l’exécution de son mandat, et les financer lui-même.
Ce faisant, la Cour de cassation a souligné l’importance de ce critère d’indépendance dans l’applicabilité du régime de l’agence commerciale.
- CA Paris, Chambre 5, 13 mars 2025, n° 21/21318 : l’absence de pouvoirs de négociations de l’intermédiaire fait échec à la requalification d’un contrat d’apporteur d’affaires en contrat d’agent commercial
Dans cette affaire, la Cour d’appel a été amenée à se prononcer sur la requalification d’un contrat d’apporteur d’affaires en contrat d’agent commercial.
En décembre 2016, un établissement public national a conclu avec la société AW Développement (AWD) un contrat qualifié d’« apporteur d’affaires », ayant pour objectif le développement de sa marque via la concession de licences de marque à des tiers.
Le contrat limitait les missions de la société AWD à la prospection, à la présentation des prospects à l’établissement public, ainsi qu’à l’information des prospects sur les conditions de la licence de marque. Il était expressément stipulé que la société AWD ne disposait d’aucun pouvoir de négociation.
En mai 2019, l’établissement public national a informé la société AWD de sa décision de ne pas renouveler le contrat. La société AWD a alors assigné l’établissement public national afin de demander la requalification de son contrat en contrat d’agent commercial, sollicitant ainsi le bénéfice de l’indemnité de rupture prévue par l’article L. 134-12 du Code de commerce.
La Cour d’appel a débouté la société AWD après avoir rappelé les caractéristiques essentielles à la qualification d’un intermédiaire en agent commercial et notamment :
- La jurisprudence européenne selon laquelle l’agent commercial n’a pas besoin de disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises qu’il vend pour être qualifié d’agent commercial (CJUE, 4 juin 2020, Trendsetteuse, C-828/18) ;
- L’appréciation extensive de la « négociation » selon laquelle la mission de négociation ne se limite pas à la capacité de modifier les prix, mais inclut des actions telles que le démarchage de la clientèle, l’orientation des choix en fonction des besoins des clients, leur fidélisation par des actions commerciales, et la valorisation des produits ;
- Que l’application du statut d’agent commercial ne dépend pas de la volonté des parties ni de la dénomination du contrat, mais des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée ;
- Que l’inscription de l’intermédiaire au registre spécial des agents commerciaux, bien qu’elle soit un élément pertinent, n’est ni une condition suffisante ni nécessaire à la reconnaissance du statut d’agent commercial ;
- Que la qualité de mandataire indépendant de l’agent commercial s’entend tout à la fois de ce qu’il exerce à ses risques et se trouve libre et autonome s’agissant de son organisation de travail, ce qui le différencie du simple mandataire.
Et de conclure qu’en l’espèce, les missions de la société AWD correspondaient à la définition de l’apporteur d’affaires, et non pas à celle d’un agent commercial.
Cette décision rappelle la distinction essentielle entre les régimes d’apporteur d’affaires et d’agent commercial, soulignant que, contrairement à l’apporteur d’affaires, l’agent commercial bénéficie d’un régime plus protecteur, justifié par son rôle actif dans la négociation contractuelle et la gestion des relations commerciales.
[1] N. Dissoux, obs. sur Cass. Com., 16. Nov. 2022, n ° 21-10.126 : JCE E, 2023, 1044
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