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CSRD : Analyse de Double Matérialité

Articles 21 janvier 2025
RSE

I. Le concept de double matérialité

La double matérialité est la pierre angulaire de la CSRD. Ce concept élargit la vision classique de la matérialité financière en combinant deux perspectives :

  • La matérialité financière (ou « outside-in ») : Elle évalue comment les enjeux environnementaux et sociétaux impactent les résultats économiques et financiers de l’entreprise. Par exemple, pour le transport ferroviaire, cela inclurait l’impact des conditions climatiques extrêmes sur les infrastructures ou les opportunités liées au transport ferroviaire comme solution à faible empreinte carbone.
  • La matérialité d’impact (ou « inside-out ») : Elle mesure l’impact de l’activité de l’entreprise sur la société et l’environnement dans son ensemble. Pour le transport ferroviaire, cela pourrait concerner les émissions de gaz à effet de serre ou l’impact sur la gestion des territoires et les communautés locales.

La double matérialité est une spécificité européenne, portée par l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). Cette approche diffère de celle de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), qui privilégie une matérialité exclusivement financière (outside-in), ce qui soulève des débats sur la concurrence internationale. Des tentatives de convergence, comme un guide commun EFRAG/ISSB en mai 2024, visent à trouver un « plus petit commun dénominateur ».

II. L’Analyse du contexte et l’identification des enjeux de durabilité

L’analyse de double matérialité, bien que « vertigineuse » de prime abord, est décrite pas à pas dans l’ESRS 1 (paragraphes 21 et AR6). Le processus s’étale généralement sur 3 à 6 mois et suit une méthodologie de cartographie des risques :

  1. Constitution d’un groupe projet et identification des acteurs internes à mobiliser.
  2. Obtention d’une vision précise des activités de l’entreprise, de son plan d’affaires et de sa stratégie, incluant l’ensemble de sa chaîne de valeur (amont et aval).
  3. Identification et consultation des parties prenantes, distinguant celles affectées par les activités et les utilisateurs du rapport de durabilité (ex: investisseurs, salariés, partenaires commerciaux, communautés locales, ONG, et même la nature). La norme ESRS 1 prévoit l’implication des parties prenantes, et leur avis doit être pris en compte, même si une consultation formelle n’est pas imposée.
  4. Répertorier l’ensemble des enjeux de durabilité en se référant aux thèmes, sous-thèmes et sous-sous-thèmes des différentes ESRS (environ 70 à 80), avec la possibilité d’ajouter des enjeux spécifiques à l’entreprise (ex: rétention des salariés, impact de l’IA).
  5. Description des enjeux, des impacts (positifs ou négatifs), risques et opportunités associés, souvent dans un tableau Excel.
  6. Documentation minutieuse des sources pour chaque enjeu identifié, essentielle notamment pour l’auditeur de durabilité.

L’impulsion de la direction générale est cruciale pour le succès du projet, car la démarche conduit inévitablement à des réflexions stratégiques sur l’adéquation du modèle d’affaires et les opportunités de changement. Le responsable RSE ou conformité agit comme chef d’orchestre, avec l’implication importante des RH, de la production, de la supply chain, de l’IT et de la direction juridique. Cette dernière est essentielle pour la revue du rapport et l’analyse des risques liés à la communication d’informations (ex: confidentialité, secret des affaires, identification des risques liées à la formulation de la divulgation).

La collecte d’informations s’effectue via des questionnaires, ateliers et interviews internes, complétés par la consultation de sources ouvertes et de recherches médiatiques pour les parties prenantes.

IV. Les Méthodologies d’évaluation des enjeux (cotation)

La cotation des enjeux, bien que guidée par l’ESRS 1, laisse une marge de manœuvre aux entreprises. La méthodologie diffère selon la nature de l’impact (négatif/positif, potentiel/réel) et la matérialité (impact ou financière), résultant en cinq méthodologies différentes. L’évaluation prend en compte :

  • L’horizon temporel de l’impact, risque ou opportunité.
  • L’ensemble de la chaîne de valeur.
  • Le score brut de l’impact, du risque ou de l’opportunité (sans prendre en compte les mesures d’atténuation déjà en place, contrairement à d’autres exercices comme la cartographie des risques de corruption).
  • L’utilisation d’une échelle définie (ex: 1 à 4).

Exemple d’évaluation d’un impact négatif potentiel (matérialité d’impact) : Pour l’épuisement de matières premières, on évalue la gravité, composée de trois facteurs :

  1. L’ampleur (niveau d’atteinte à l’environnement ou aux droits humains).
  2. La réversibilité (caractère irrémédiable de l’impact) – ce facteur n’est pas pris en compte pour un impact positif.
  3. L’étendue (portée géographique ou nombre de personnes touchées). Ensuite, l’impact est pondéré par un facteur de probabilité (sauf pour les droits de l’homme, où les droits l’emportent sur la probabilité). Le score intermédiaire est ensuite divisé par le nombre de facteurs utilisés pour assurer la cohérence des scores.

Exemple d’évaluation d’un risque financier (matérialité financière) : Pour le même enjeu d’épuisement de matières premières, on croise :

  1. L’ampleur potentielle des effets financiers (impact sur le chiffre d’affaires, le modèle d’affaires, le nombre de jours d’interruption).
  2. La probabilité d’occurrence du risque.

Enfin, un seuil de matérialité est défini par l’entreprise. Un enjeu est considéré comme matériel dès qu’il franchit ce seuil pour l’une ou l’autre des deux matérialités (financière ou d’impact). Le choix du seuil est libre mais doit être fait avec vigilance pour ne pas sous-estimer ou sur-estimer le nombre d’enjeux matériels.

V. Le Rapport de durabilité et l’analyse des écarts

L’analyse de double matérialité aboutit à une liste d’enjeux matériels, qui doit être traduite visuellement (ex: cartographies, graphiques) pour en faciliter la compréhension. L’objectif principal est de déterminer les normes ESRS applicables et les « data points » spécifiques à publier. Des outils et plateformes numériques peuvent aider à la collecte et à l’analyse des données.

Le rapport de durabilité doit être détaillé et structuré selon les règles édictées, incluant toutes les informations liées aux enjeux ESG identifiés comme matériels. Il est inclus dans une section dédiée du rapport de gestion en format électronique européen. Un travail minutieux la première année est essentiel pour constituer un dossier permanent qui sera actualisé et amélioré les années suivantes.

L’analyse des écarts (gap analysis) est un exercice crucial à plusieurs niveaux :

  • Par rapport à la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) : identifier les éléments à conserver, supprimer ou modifier.
  • Entre le rapport de durabilité actuel et les exigences des normes ESRS complètes : mesurer la conformité et les améliorations nécessaires.
  • Entre les rapports de durabilité successifs : suivre l’évolution et l’amélioration continue.
  • Entre la CSRD (obligation de reporting) et le devoir de vigilance (obligation de faire) : mettre en lien les actions mises en œuvre et les informations reportées.

Les objectifs de cette analyse sont d’identifier les lacunes, de définir un plan d’action avec des mesures, des échéances et des responsabilités claires, et de suivre les évolutions.

VI. Points pratiques et questions fréquemment posées

Quelques conseils pratiques pour l’établissement du rapport :

  • Nommer l’auditeur (Organisme Tiers Indépendant – OTI) le plus tôt possible pour lui permettre de prendre connaissance du contexte et de mener sa mission sans urgence. L’auditeur peut remettre en question la méthodologie et la justification des enjeux considérés comme non matériels.
  • Assurer que la publication du rapport est alignée sur l’exercice comptable.

Auteurs

Matthieu
Dary
Avocat - Associé
Muriel
Guillin-Modaine
Avocate - Associée
Bruno
Deffains
Avocat - Of Counsel
Thibaut
Brenot
Avocat
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