La prise en compte des nouveaux droits antérieurs par l’INPI

14/04/22
La prise en compte des nouveaux droits antérieurs par l’INPI

Le 1er avril 2022 marque le deuxième anniversaire de l’entrée en vigueur des nouvelles procédures contentieuses devant l’INPI en droit des marques : actions en nullité, actions en déchéance, oppositions ouvertes à de nouveaux types de droits antérieurs… C’est l’occasion de consacrer plusieurs articles à un bilan des questions nées du transfert d’une partie du contentieux français en droit des marques vers l’INPI.

 

1.La consécration française de nouveaux droits antérieurs invocables au soutien d’une opposition

L’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 transposant la directive (UE) N° 2015/2436 du 16 décembre 2015 modifie la procédure d’opposition devant l’INPI pour la rapprocher de la procédure existante devant l’EUIPO[1].

 

En particulier, le nouvel article L.712-4 du Code de la Propriété Intellectuelle allonge considérablement la liste des droits antérieurs pouvant être invoqués dans le cadre d’une procédure d’opposition et accroit ainsi le champ d’intervention de l’INPI.

 

Avant la réforme, seuls les marques antérieures, indications géographiques ou demandes d’indication géographique protégée ou contrôlée, et le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale pouvaient être invoqués pour faire obstacle à l’enregistrement d’une marque.

 

Désormais, peuvent également être invoqués une marque de renommée, un nom de domaine, une dénomination ou une raison sociale, un nom commercial, une enseigne, et le nom, l’image et la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale. Certains de ces droits constituaient déjà, avant la réforme, des motifs relatifs de nullité invocables devant les juridictions françaises.

 

Il est à noter que désormais, à l’exception des droits d’auteur, des droits résultant d’un dessin ou modèle protégé et des droits de la personnalité d’un tiers, les droits antérieurs invocables dans le cadre d’une opposition sont identiques à ceux invocables dans le cadre d’une action en nullité.

 

Ces nouveaux droits antérieurs peuvent être invoqués soit individuellement soit cumulativement, sous réserve de leur appartenance au même titulaire (l’objectif étant de réduire les coûts de la procédure).

 

Cette consécration harmonise le droit français avec le droit de l’Union et plus particulièrement avec l’article 46 du RMUE qui renvoie lui-même à l’article 8 paragraphe 4 autorisant les titulaires « d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale » à s’opposer à l’enregistrement d’une marque (à condition que, selon la législation de l’Union ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe, ce dernier donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente).

 

2. La prise en compte des droits antérieurs soumise à des conditions restrictives à l’instar du droit européen

Si cet élargissement des droits antérieurs invocables peut paraitre favorable aux opposants, il n’en reste pas moins que plusieurs conditions cumulatives strictes doivent être remplies. Parmi les droits antérieurs identifiés à l’article L.712-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, les dernières décisions rendues par l’INPI font apparaître essentiellement les droits antérieurs suivants : (i) la marque jouissant d’une renommée (ii) la dénomination ou la raison sociale, (iii) le nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine.

 

(i) La marque de renommée

A l’instar de l’EUIPO, l’INPI adopte une présentation très didactique en rappelant dans chaque décision les conditions cumulatives applicables à l’invocation d’une marque de renommée, à savoir « premièrement, l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée, deuxièmement, l’identité ou la similitude des marques en conflit et, troisièmement, l’existence d’un risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice ».

 

Afin de déterminer le niveau de renommée de la marque invoquée, l’INPI prend en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, « la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour la promouvoir », reprenant ainsi à son compte les critères établis par la jurisprudence européenne[2]. La preuve du niveau de renommée est évidemment à la charge de celui qui l’invoque et plusieurs types de preuves peuvent être produits (extraits de site internet, articles de presse, publicités, volume de vente annuel, montant des dépenses publicitaires effectuées, étude de notoriété conduite par des instituts de sondage, etc.). En outre, la renommée de la marque doit être rapportée en lien avec les produits et services servant de base à l’opposition[3].

 

S’agissant de l’analyse des signes en conflit, l’INPI se livre classiquement à une analyse d’identité ou des similarités visuelles, phonétiques et conceptuelles.

 

L’INPI vérifie ensuite le lien qui existe entre les signes dans l’esprit du public. A cette fin, l’INPI reprend à nouveau à son compte les critères établis par la jurisprudence européenne[4], notamment « le degré de similarité entre les signes, la nature des produits et des services (y compris le degré de similarité ou de dissemblance de ces produits et services) ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, (afin de déterminer si celle-ci s’étend au-delà du public visé par cette marque), le degré de caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l’usage de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion s’il en existe un [5]». Contrairement à sa pratique antérieure, l’INPI n’hésite pas à s’appuyer sur la jurisprudence des instances européennes par exemple pour refuser de caractériser un lien entre les signes au motif que « la marque antérieure est renommée dans sa présentation particulière, présentation que ne reprend pas le signe contesté »[6].

 

Enfin, l’INPI détermine s’il existe un risque de préjudice, c’est-à-dire si l’usage de la demande d’enregistrement contestée pourrait tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou pourrait porter préjudice à la renommée ou au caractère distinctif de la marque antérieure, le premier critère étant plus largement retenu par l’INPI[7].

 

L’INPI a ainsi considéré que les dépôts NARITUAL et MC STREET portaient respectivement atteinte aux marques de renommée antérieures RITUALS[8] et MCDONALD’S[9].

 

(ii) La dénomination sociale et la raison sociale soumises à l’existence d’un risque de confusion

L’article L.712-4 3° du Code de la Propriété Intellectuelle consacre la possibilité d’invoquer une dénomination ou une raison sociale au soutien d’une opposition.

 

La démonstration de l’existence (l’inscription de la dénomination sociale au registre du commerce et des sociétés[10]) de la dénomination sociale ou de la raison sociale est nécessaire mais insuffisante. Ces dernières doivent être effectivement exploitées[11].

 

Contrairement aux exigences du RMUE et de la jurisprudence européenne[12], il n’est pas nécessaire de démontrer la « portée autre que locale » de la dénomination sociale ou de la raison sociale[13].

 

Dans la droite ligne des décisions antérieures des juridictions françaises, l’opposant doit également démontrer l’existence d’un risque de confusion. A ce titre, l’INPI précise que « l’existence d’un risque de confusion doit être appréciée globalement en tenant compte de nombreux facteurs qui incluent la similitude des signes, la similitude des produits et services, le caractère distinctif de la marque antérieure, les éléments distinctifs et dominants des signes en litige et le public pertinent. »

 

Ainsi, le raisonnement adopté par l’INPI est similaire à celui adopté lors de la comparaison de deux marques[14]. Il appartient à l’opposant qui invoque une dénomination sociale ou une raison sociale de démontrer que les produits et services couverts par ces dernières sont identiques ou similaires à la marque contestée. Dans le cas contraire, l’INPI rappelle qu’il ne peut « se substituer à la société opposante pour mettre les produits ou services et activités en relation les uns avec les autres »[15].

 

(iii) Le nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine soumis à l’exigence d’une portée qui n’est pas seulement locale en plus de l’existence d’un risque de confusion

L’article L.712-4.4° du Code de la propriété intellectuelle précise désormais qu’en plus de l’enseigne et du nom commercial, le nom de domaine « assimilable à un nom commercial utilisé en ligne[16]» peut être invoqué au soutien d’une opposition et qu’il suit le même régime que le nom commercial et l’enseigne.

 

S’agissant du nom de domaine, l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 s’inscrit ainsi dans la continuité de la jurisprudence française[17], laquelle admettait que le nom de domaine soit invoqué comme antériorité dans le cadre d’une action en nullité de marques grâce à la présence de l’adverbe « notamment » à l’article L.711-4 (ancien) du Code de la propriété intellectuelle qui sous-entendait que la liste des droits antérieurs n’était pas limitative.

 

Le nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine doivent remplir plusieurs critères cumulatifs de recevabilité. En plus de leur réservation[18], l’opposant doit ainsi démontrer (i) que le signe est utilisé dans la vie des affaires, (ii) qu’il a une portée qui n’est pas seulement locale et (iii) qu’il existe un risque de confusion.

 

L’opposant doit d’abord démontrer que le signe est utilisé dans la vie des affaires et pour ce faire constituer un dossier de preuves solides démontrant l’antériorité de ses droits. L’INPI a ainsi refusé à de nombreuses reprises de retenir un droit antérieur, faute pour l’opposant de rapporter des documents ayant une valeur probante[19], datés[20] ou prouvant l’usage continu du signe de la date de sa réservation ou son inscription à la date de la demande d’enregistrement de la marque contestée[21]. Il est à noter que ce premier critère est essentiel puisque s’il n’est pas caractérisé, l’INPI (comme l’EUIPO le faisait avant lui[22]) n’examinera pas les autres critères.

 

Le second critère de « la portée autre que locale » remplace l’exigence de connaissance « sur l’ensemble du territoire national ». Dans lignée du droit européen, l’INPI semble vérifier à la fois la dimension économique et la dimension géographique de cette portée. L’INPI fait même directement référence aux décisions des instances européennes en rappelant que « la dimension économique de la portée du signe est évaluée au regard de la durée pendant laquelle il a rempli sa fonction dans la vie des affaires et de l’intensité de son usage, au regard du cercle des destinataires parmi lesquels le signe en cause est devenu connu en tant qu’élément distinctif, à savoir les consommateurs, les concurrents, voire les fournisseurs, ou encore de la diffusion qui a été donnée au signe, par exemple, par voie de publicité ou sur Internet (TUE 24/03/2009, T-318/06 – T-321/06, General Optica, EU:T:2009:77, § 37)[23]».

 

Là encore sont méticuleusement vérifiées les pièces produites par l’opposant qui ne peut par exemple se contenter d’affirmer que les noms de domaine enregistrés en .fr sont réputés couvrir l’ensemble du territoire national français[24] ou fournir quelques factures ou extraits du site internet non corroborées par d’autres documents[25]. C’est sans doute ce qui explique que peu de décisions aient admis la recevabilité de ces signes.

 

3. Un bilan mitigé

En prenant en compte ces nouveaux droits antérieurs, l’ordonnance de 2019 modernise la procédure d’opposition et rapproche le droit français du droit européen assurant ainsi une certaine cohérence. Toutefois, ces nouveaux droits antérieurs ne rencontrent en France qu’un succès relatif. Ces derniers ne sont en effet que peu invoqués par les opposants. Il ressort en particulier des statistiques rendues publiques par l’INPI en février 2022[26] que, parmi les 5 666 demandes d’opposition :

  • 88% des fondements invoqués sont des marques « classiques »,
  • 12% seulement des fondements invoqués sont des droits autres (marques de renommée (62%), dénominations sociales (16%), noms de domaine (12%), nom commercial et enseigne (6%)) ;
  • 23% des oppositions invoquent plus d’un droit antérieur

Ces chiffres semblent pouvoir s’expliquer soit par une méconnaissance de cette nouvelle possibilité offerte aux opposants d’invoquer des signes commerciaux soit par la crainte de ne pas satisfaire les critères particulièrement stricts. Il en ressort que la marque antérieure enregistrée en tant que titre de propriété industrielle, qui ne nécessite pas pour être invoquée d’en démontrer l’usage (sous réserve d’une demande expresse du déposant si la marque est enregistrée depuis plus de cinq ans) reste le droit antérieur de prédilection des opposants.

 

Néanmoins, ces droits antérieurs doivent être pris en considération que ce soit du côté des déposants au moment de la recherche de disponibilité du signe, que des opposants pour lesquels ils constituent une nouvelle opportunité, à condition de respecter les conditions strictes imposées par la loi.

 

[1] « Ainsi, parmi les droits antérieurs, tous ceux constituant des signes distinctifs pourront être invoqués dans le cadre d’une procédure d’opposition, comme c’est le cas devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ou devant la plupart des offices étrangers. », Rapport au Président de la République relative à l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services
[2] CJUE 14/09/1999, C-375/97, Chevy, EU:C:1999:408, § 25, 27
[3] INPI, 22/10/2021, 21-1894, MANITOU c. MANITOU
[4] CJUE, 27/11/2008, C‑252/07, Intel, EU:C:2008:655.
[5] INPI, 22/10/2021, 21-1894, MANITOU c. MANITOU, INPI, 03/03/2022, 21-1800, FOL’EPI c. EPIS EN FOLIE SPECIALITES BIO CEREALIERES.
[6] INPI, 25/10/2021, 20-4624, c. COM N’ PLUS ; TUE, 21 mai 2015, Formula One Licensing BV, aff. T-55/13.
[7] INPI, 03/03/2022, 21-1800, FOL’EPI c. EPIS EN FOLIE SPECIALITES BIO CEREALIERES ; INPI, 22/10/2021, 21-1749, MCDONALD’S c. MC STREET; INPI, 26/10/2021, OPP 21-1818, RITUALS c. NARITUAL.
[8] INPI, 26/10/2021, OPP 21-1818, RITUALS c. NARITUAL.
[9] INPI, 22/10/2021, 21-1749, MCDONALD’S c. MC STREET.
[10] INPI, 23/07/2021, 20-2261, KAB-LEGAL c. CAB LEGAL.
[11] INPI, 14/04/2021, 20-1222, A.D.A c. ADA6.
[12] TUE, 14/09/2011, T-485/07, O-live, EU:T:2011:467.
[13] EUIPO (ch des recours), 08/09/2011, R 21/2011-1, MARIONNAUD PARFUMERIES c. MARIANNA.
[14] INPI, 25/10/2021, 21-1481, DOCTOLIB c. DOCTOTEL.
[15] INPI, 14/04/2021, A.D.A c. ADA6.
[16] Rapport au Président de la République relative à l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services
[17] Tribunal de grande instance du Mans du 29 juin 1999, Microcaz c/ Oceanet ; TGI Paris, 18 octobre 2000, D.2001, 1379, Note Loiseau.
[18] Directeur général de l’INPI, Décision n°2019-158 relative aux modalités de la procédure d’opposition à enregistrement d’une marque
[19] INPI, 20/05/2021, 20-2084, CLINIQUE.FR c. LA CLINIQUE DIGITALE. ORG
[20] INPI, 23/07/2021, 20-2261, KAB-LEGAL.COM c. CAB LEGAL.
[21] INPI, 03/08/2021, 20-1114, SUPERPITCH.FR c. SUPERPITCH.
[22] EUIPO (ch. des recours), 16/08/2011, R 1714/2010-4, JAMON DE HUELVA.
[23] INPI, 25/10/2021, 21-1780, AGENCE TEMPO c. AGENCE TEMPO.
[24] INPI,03/08/2021, 20-1114, SUPERPITCH.FR c. SUPERPITCH.
[25] INPI, 25/10/2021, 21-1780, AGENCE TEMPO c. AGENCE TEMPO.
[26] Comité de suivi PI Marques – Dessins et modèles, INPI Professionnels de la PI, 4 février 2022.
Pour aller plus loin