Action en nullité : l’appréciation des motifs absolus de nullité par l’INPI

07/04/22
Action en nullité : l’appréciation des motifs absolus de nullité par l’INPI

Action en nullité

 

Le 1er avril 2022 marque le deuxième anniversaire de l’entrée en vigueur des nouvelles procédures contentieuses devant l’INPI en droit des marques : actions en nullité, actions en déchéance, oppositions ouvertes à de nouveaux types de droits antérieurs… C’est l’occasion de consacrer plusieurs articles à un bilan des questions nées du transfert vers l’INPI d’une partie du contentieux français en droit des marques.

 

1. La clarification des motifs absolus de nullité

Le nouvel article L. 711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, résultant de l’ordonnance N° 2019-1169 du 13 novembre 2019, ajoute, conformément à la directive (UE) N° 2015/2436 du 16 décembre 2015, un certain nombre de motifs absolus de refus ou de nullité jusqu’à présent absents des textes.

 

En effet, avant l’ordonnance de 2019, les motifs absolus de nullité étaient éparpillés au sein du code de la propriété intellectuelle, entre notamment l’article L.711-2 relatif au caractère distinctif de la marque, l’article L.711-3 relatif à l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs ainsi qu’au caractère déceptif de la marque, et enfin, l’article L. 712-6 relatif à la mauvaise foi.

 

Désormais, l’article L.711-2 prévoit 11 motifs absolus permettant d’annuler une marque enregistrée.

 

Pour ce qui est de la motivation des décisions, l’INPI a adopté, un style simple instauré depuis 2019 par le Conseil d’Etat en matière de rédaction des décisions des juridictions administratives (en abandonnant par exemple l’utilisation des « CONSIDERANT »). La méthode d’analyse des décisions est, en outre, très structurée, s’inspirant de celle des décisions rendues par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

 

Il ressort des décisions rendues depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance que l’appréciation de l’INPI apparaît globalement similaire à celle des juridictions françaises et de l’EUIPO.

 

2. Des critères issus de la jurisprudence européenne et française

Parmi les 11 motifs absolus de nullité identifiés à l’article L.711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, les dernières décisions rendues par l’INPI font apparaître essentiellement les 4 motifs suivants : (i) l’absence de caractère distinctif ; (ii) le caractère déceptif ; (iii) l’ordre public ; (iv) la mauvaise foi.

 

2.1. La marque dépourvue de caractère distinctif

L’INPI apprécie le caractère distinctif d’une marque d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception que le public pertinent en a, reprenant à ce titre les critères établis par la jurisprudence européenne[1].

 

Conformément à la jurisprudence des tribunaux français[2], l’INPI rappelle également que la charge de la preuve du défaut de distinctivité du signe est appréciée au jour du dépôt et incombe au demandeur de l’action en nullité dès lors que la marque enregistrée bénéficie d’une présomption de validité[3].

 

Le titulaire de la marque contestée peut se défendre en transmettant des preuves de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de sa marque. A ce titre, l’INPI tient compte des facteurs identifiés par la jurisprudence européenne[4], soit la part de marché détenue par la marque, l’intensité et l’étendue géographique de son usage, la durée de l’usage et l’importance des investissements faits par l’entreprise pour promouvoir sa marque, ainsi que la proportion des milieux intéressés qui identifie les produits et services comme provenant d’une entreprise déterminée[5].

 

Enfin, il est important de noter que l’article L.711-2 2° consacre en droit français le critère de « distinctivité autonome » déjà utilisé par la jurisprudence française[6] et selon lequel l’appréciation du caractère distinctif d’une marque peut se faire indépendamment des produits et services visés. Ainsi, l’INPI a confirmé que « est dépourvu de caractère distinctif le signe qui, par lui-même, ne conduit pas le public concerné à penser que les produits en cause proviennent d’une entreprise déterminée et ne lui permet pas de les distinguer de ceux d’autres entreprises »[7].

 

Si globalement, les décisions de l’INPI sont dans la lignée de la jurisprudence européenne et française, elle a pu sembler plus sévère sur certains sujets. En effet, jusqu’à récemment, l’ajout d’un élément figuratif permettait de renforcer la distinctivité du signe. Or, désormais, l’INPI paraît plus strict. Il a notamment considéré que la couleur verte et la présence d’éléments végétaux, telles que des feuilles, « participent d’une stratégie marketing courante destinée à vanter les qualités écologiques, respectueuses, des produits sur lesquels ces éléments sont apposés » et « n’étaient donc pas de nature, au jour de son dépôt, à lui conférer un caractère distinctif »[8].

 

2.2. La marque contraire à l’ordre public

L’article L.711-2 7° prévoit qu’est nulle « une marque contraire à l’ordre public ou dont l’usage est légalement interdit ».

 

La jurisprudence européenne considère que l’ordre public doit se distinguer des bonnes mœurs, qui constituent deux notions différentes mais qui se recoupent souvent. D’une part, la notion d’ « ordre public » est constituée par l’ensemble des règles juridiques nécessaires au fonctionnement d’une société démocratique et de l’Etat de droit. D’autre part, les « bonnes mœurs » font référence aux valeurs et aux normes morales fondamentales auxquelles une société adhère à un moment donné et qui sont susceptibles d’évoluer au fil du temps et de varier dans l’espace[9].

 

L’INPI, de son côté, a choisi de réunir les notions d’ordre public et de bonnes mœurs dans une seule et même définition en affirmant que « La notion d’ordre public et de bonnes mœurs se réfère aux valeurs et aux normes sociales auxquelles la société adhère et vise ainsi à réguler les comportements susceptibles de contrevenir à l’ensemble des règles imposées tant par la législation que par la morale sociale »[10].

 

L’INPI a ainsi pu considérer comme étant contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, l’utilisation d’un signe susceptible de diffuser un message à caractère pornographique, notamment auprès de mineurs, ou bien l’enregistrement d’un signe pour des produits et services relatifs au cannabis (alors même que les produits visés concernaient du cannabidiol dont la commercialisation est autorisée sous certaines conditions).

 

2.3. La marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi

Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, l’application du critère de la mauvaise foi en matière de demande en nullité d’une marque relevait de la jurisprudence[11], en particulier de la combinaison de l’adage « fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout) et de l’ancien article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle[12].

 

L’ordonnance a transposé ce critère jurisprudentiel à l’article L.711-2 11° qui prévoit désormais qu’est nulle « une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur ».

 

Sur ce fondement, l’INPI reprend désormais à son compte l’interprétation des jurisprudences européenne[13] et française selon lesquelles la mauvaise foi est constituée dès lors que le titulaire de la marque contestée avait connaissance, au jour de son dépôt, d’un usage antérieur du signe ou de signes semblables et que son intention au moment du dépôt était malhonnête[14].

 

2.4 La marque de nature à tromper le public

L’article L.711-2 8° prévoit qu’une marque ne peut être de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

 

L’INPI suit les critères de la jurisprudence européenne[15] selon lesquels le caractère trompeur suppose que puisse être retenue l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur. Il convient à ce titre de tenir compte des caractéristiques des produits et des services en cause, de la réalité du marché ainsi que de la perception du consommateur, de ses habitudes et de ses attentes vis- à-vis de ces produits et services.[16]

 

A cet effet, l’INPI rappelle que « la provenance est un élément décisif dans le choix des consommateurs, en particulier lorsqu’il s’agit de produits alimentaires », s’agissant notamment de bières[17], et en cela, s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence judiciaire antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance[18]. Il refuse toutefois de retenir le caractère trompeur du signe « Gang Bang à Paris », dès lors que la construction grammaticale laisse entendre qu’il s’agit du lieu de réalisation de « l’activité » et non une indication quant à la provenance géographique des produits et services couverts par la marque.

 

 

3. Une procédure simplifiée

Il résulte de l’objectif d’apurement des registres de marques[19] initié par l’ordonnance de 2019 que « la présentation d’une demande en nullité sur le fondement de motifs absolus n’est nullement conditionnée à la démonstration d’un intérêt à agir » [20]. Toute personne peut donc saisir l’INPI pour contester la validité d’une marque française enregistrée sur le fondement d’un motif absolu de nullité. L’ordonnance suit le modèle des procédures mises en place devant l’EUIPO et rompt avec les principes procéduraux en vigueur devant les tribunaux français qui exigeaient la démonstration d’un intérêt à agir en application des dispositions de l’article 31 du code de procédure civile et qui précisaient à ce titre que l’annulation d’une marque pour un motif absolu pouvait être invoqué « par tout tiers intéressé »[21].

 

En pratique, une entreprise pourrait donc charger un tiers de confiance, tel qu’un cabinet d’avocats, afin d’initier en son nom une action en nullité absolue contre un tiers et ainsi, ne pas révéler son identité. Il est rappelé, toutefois, que si l’intérêt à agir n’est plus requis, la qualité à agir est, elle, nécessaire sur le fondement de l’article R.716-5 du code de la propriété intellectuelle[22].

 

Enfin, l’INPI a eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que les parties doivent développer des arguments fondant leurs prétentions, sous peine de voir leur demande rejetée, conformément à l’article R. 716-3 du code de la propriété intellectuelle. Il ne suffit donc pas de se contenter d’affirmer que le signe est atteint par un motif absolu de nullité, sans aucune autre justification[23].

 

***

 

La nouvelle procédure initiée par l’ordonnance a permis de favoriser les demandes en nullité de marques. En effet, il ressort des statistiques rendues publiques par l’INPI en février 2022[24] que, si en 2020, les actions en déchéance étaient plus nombreuses que les actions en nullité (55% d’actions en déchéance contre 45% d’actions en nullité), en 2021, la tendance s’est inversée et les actions en nullité sont devenues majoritaires (58% d’actions en nullité contre 42% d’actions en déchéance). Etant précisé que les actions en nullité restent majoritairement fondées sur des motifs relatifs.

 

La porte est donc ouverte à tous pour contester la validité d’une marque enregistrée, à condition de disposer des arguments pertinents.

 

[1] INPI, 19 janvier 2022, NL 21-0020 (Generation) ; INPI, 16 décembre 2021 – NL 21-0104 (Medic Gov) ; INPI, 05 juillet 2021, NL 20-0063 (Bio Garanties)
[2] TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 2 juillet 2015, n° 14/04472
[3] INPI, 16 décembre 2021 – NL 21-0104 (Medic Gov) ; INPI, 10 décembre 2021, NL 21-0059 (Tu veux frôler la perfection ? Passe à côté de moi)
[4] CJCE, 04/05/1999, C-109/97, Windsurfing Chiemsee
[5] INPI, 20 mai 2021, NL 20-0048 (Le Comptoir National de l’Or) ; INPI, 28 octobre 2021, NL 21-0071 (Brasserie du Mont-Blanc)
[6] CA Paris 22 mai 2018, SA Mariage Frères, RG 17/19192
[7] INPI, 10 décembre 2021, NL 21-0059 (Tu veux frôler la perfection ? Passe à côté de moi) ; INPI 5 juillet 2021, NL 20-0063 (Bio Garanties)
[8] INPI 5 juillet 2021, NL 20-0063 (Bio Garanties)
[9] CJUE, 27 février 2020, C‑240/18 P, Fack Ju Göhte
[10] INPI, 23 juin 2021, NL 20-0054 (Château La Rose Bellevue) ; INPI, 10 novembre 2020, NL 20-0024 (Gang Bang à Paris)
[11] Cass. Com. 25 avril 2006, n°04-15641 ; Cass. Com. 17 mars 2021, 18-19.774
[12] « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement. »
[13] CJUE, 11 juin 2009, C-529/07, LINDT GOLDHASE ; CJUE, 27 juin 2013, C-320/12
[14] INPI, 10 décembre 2021, NL 21-0059 (Tu veux frôler la perfection ? Passe à côté de moi) ; INPI, 29 octobre 2021, NL 21-0100 (Le Diable Marche avec Vous) ; INPI, 15 octobre 2021, NL 21-0045 (L’huile de mon père)
[15] CJCE, 30 mars 2006, C-259/04, Elizabeth Emanuel
[16] INPI, 28 octobre 2021, NL 21-0071 (Brasserie du Mont-Blanc)
[17] Idem.
[18] Cour d’appel de Lyon, 29 octobre 2015, n° 15/02184 (Ravioles de montagne)
[19] Rapport au Président de la République relative à l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039373262/.
[20] INPI, 20 juillet 2021, NL 20-0035 (Polyal)
[21] TGI Paris, 15 janvier 2016, RG n° 13/05333
[22] INPI, 27 janvier 2022, NL 21-0124 (Le Château d’Eau) ; INPI, 10 décembre 2021, NL 21-0059 (Tu veux frôler la perfection ? Passe à côté de moi)
[23] INPI, 19 janvier 2022, NL 21-0020 (Generation) ; INPI, 16 décembre 2021, NL 21-0104 (Medic Gov) ; INPI, 29 octobre 2021, NL 21-0100 (Le Diable Marche avec Vous)
[24] Comité de suivi PI Marques – Dessins et modèles, INPI Professionnels de la PI, 4 février 2022
Pour aller plus loin