Statu quo sur le recours des candidats évincés de contrats privés de la commande publique

14/10/20 par Thomas Vaseux
Statu quo sur le recours des candidats évincés de contrats privés de la commande publique

Article publié le 09/10/2020 dans le Moniteur.fr

 

Le Conseil constitutionnel déclare l’article 16 de l’ordonnance « Recours » de 2009 (concernant le référé contractuel applicable aux contrats privés de la commande publique) conforme aux dispositions constitutionnelles. La différence de traitement entre les candidats évincés, selon le caractère privé ou administratif du contrat concerné, est donc appelée à perdurer.

 

Les Sages de la rue de Montpensier étaient amenés à statuer sur la conformité des dispositions de l’ordonnance dite « recours » de 2009, concernant le référé contractuel applicable aux contrats privés de la commande publique, aux dispositions constitutionnelles relatives au droit au recours effectif (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et au principe d’égalité. Cela faisait suite à une saisine de la Cour de cassation qui avait considéré qu’une telle question présentait un caractère sérieux.

Par une décision du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise.

 

L’efficience du référé contractuel contestée

Pour mémoire, lorsqu’un contrat privé de la commande publique est signé, les candidats évincés disposent, en application de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 dite « recours », de la possibilité d’intenter un référé contractuel. Or, une telle voie de recours présente un intérêt très limité puisque les hypothèses de nullité du contrat sont très restrictives. Celle-ci ne sera encourue que si aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise ou lorsqu’a été omise une publication au niveau européen (article L. 551-18 du Code de justice administrative et article 16 de l’ordonnance), à défaut de tout autre manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence.

Les autres manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ne peuvent en réalité être sanctionnées dans le cadre d’un référé contractuel que si l’acheteur a fermé irrégulièrement la porte du référé précontractuel (hypothèses où l’acheteur n’a pas respecté l’obligation du délai de standstill ou a signé le contrat alors qu’un référé précontractuel avait préalablement été introduit et était pendant).

Pour le Conseil, le caractère limité du référé contractuel répond toutefois à l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur quant à la sécurité juridique des relations contractuelles.

 

Le droit à un recours juridictionnel effectif

C’est dans le cadre des marchés passés selon une procédure adaptée (Mapa) que la question de l’effectivité du droit au recours des candidats évincés interroge. En effet, pour de tels marchés, l’acheteur n’est pas tenu de respecter un délai entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats évincés et la signature du marché. Autrement dit, il peut décider de signer le marché dans la foulée d’une telle notification, faisant obstacle à la recevabilité de tout référé précontractuel.

Pour autant, le Conseil considère ici qu’une telle circonstance « n’a ni pour objet ni nécessairement pour effet de priver les candidats évincés de la possibilité de former, dès le rejet de leur offre et jusqu’à la signature du contrat, un référé précontractuel ». On admettra la véracité théorique d’une telle affirmation : les candidats évincés peuvent en effet toujours intenter un référé précontractuel. Toutefois, en l’absence de délai de standstill auquel se soumettrait spontanément l’acheteur, un tel référé sera voué à une irrecevabilité quasi-certaine.

 

Pas de recours « Tarn-et-Garonne » devant le juge judiciaire

L’autre argument soulevé par les requérants résidait dans la méconnaissance du principe d’égalité entre les candidats à l’attribution de contrats administratifs de la commande publique et les candidats à l’attribution de contrats privés de la commande publique.

En effet, les premiers disposent d’un recours en contestation de la validité du contrat devant le juge administratif tel que prévu par l’arrêt « Tarn-et-Garonne » du Conseil d’Etat (CE, 4 avril 2014, « Département de Tarn-et-Garonne », n° 358994). Ce recours, formé après la signature du contrat, permet notamment au juge de prononcer, selon l’irrégularité invoquée, la résiliation voire la résiliation du contrat.
Le régime spécifique de ce recours est encadré par le Conseil d’Etat (délai de recours de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, recevabilité du recours conditionnée à la lésion des intérêts du requérant de manière suffisamment directe et certaine par la passation du contrat ou ses clauses, caractère limité des moyens susceptibles d’être soulevés, etc.).

Ce recours est ouvert uniquement aux contrats administratifs et le Conseil reconnaît en conséquence l’impossibilité pour les candidats à l’attribution de contrats privés de la commande publique d’en bénéficier. Le juge constitutionnel est toutefois silencieux sur le fait que, pour de tels contrats, les candidats évincés disposent de l’action en nullité du contrat prévue aux articles 1178 et suivants du Code civil.

 

Absence d’atteinte au principe d’égalité

Selon le Conseil, l’absence de bénéfice par les candidats évincés de l’attribution de contrats privés de la commande publique du recours « Tarn-et-Garonne » ne porte pas atteinte au principe d’égalité. Il considère en effet que « les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et des régimes différents. Ainsi, les candidats évincés d’un contrat privé de la commande publique sont dans une situation différente des candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique. Dès lors, la différence de traitement dénoncée, qui est en rapport avec l’objet de la loi, ne méconnaît pas en tout état de cause le principe d’égalité devant la loi ».

Il ne fait en effet pas de doute que les contrats administratifs et les contrats de droit privé (même de la commande publique) répondent à des finalités et des régimes différents. Les premiers répondent à un objectif d’intérêt général attaché à l’action administrative et obéissent ainsi à un régime exorbitant du droit commun au profit de la personne publique contractante (pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, absence de principe pour le cocontractant privé de l’exception d’inexécution, etc.).

Toutefois, le lien entre une telle distinction et la différence de traitement entre les candidats évincés, au regard des recours à la disposition de ces derniers, apparaît davantage ténu. En effet, les contrats de la commande publique, qu’ils soient de privés ou administratifs, obéissent à des règles similaires en matière de passation et aux finalités afférentes au respect de telles règles. Un rapprochement des recours ouverts aux candidats évincés ne serait ainsi pas illogique.

Au final, les praticiens du droit de la commande publique resteront sur leur faim avec cette décision du Conseil constitutionnel qui vient confirmer le statu quo existant en matière de recours ouverts aux candidats évincés.

Décision n° 2020-857 QPC du 2 octobre 2020

 

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