Les sanctions internationales prises à l’encontre de la Russie pour condamner l’acte d’agression militaire contre l’Ukraine en font, aujourd’hui, le pays le plus sanctionné au monde. Dernièrement, l’annonce de la révocation du statut de « nation la plus favorisée » (« most favored nation ») de la Russie pourrait ouvrir la porte à l’interdiction ou à l’imposition de tarifs punitifs sur l’intégralité des produits russes. La perte de ce statut, qui reflète un principe fondateur de l’Organisation Mondiale du Commerce, pourrait mettre ainsi la Russie au même rang que la Corée du Nord. L’actualité des exclusions s’est d’ailleurs encore enrichie le 16 mars dernier avec l’éjection de la Russie du Conseil de l’Europe.
Ces sanctions viennent en complément des différentes mesures prises à la suite de l’annexion par la Russie de la Crimée en 2014. Dans ce contexte, les acteurs économiques doivent redoubler de vigilance dans leurs relations commerciales impliquant une entité qui aurait un lien avec la Russie et/ou son système financier.
Des mesures restrictives à l’encontre de la Russie ont été adoptées par l’Union Européenne, les Etats-Unis, ainsi que le Japon, la Grande Bretagne, le Canada, l’Australie et la Suisse. Par conséquent, plusieurs régimes de sanctions internationales co-existent. Il est donc important pour les sociétés, directement ou indirectement impliquées dans des projets et relations d’affaires en Russie, ou avec des résidents russes, de prendre en considération ces multiples régimes qui peuvent diverger, notamment s’agissant des personnes visées par les sanctions.
Par ailleurs la Biélorussie, qui accueille sur son territoire les troupes russes, a également été sanctionnée par la communauté internationale.
Cette note d’analyse se concentrera sur les mesures prises par l’Union Européenne et par les Etats Unis à l’encontre de la Russie, régimes de sanctions les plus complets à ce jour.[1]
Au regard de l’ampleur des sanctions adoptées et de leur caractère évolutif, cette revue n’a pas vocation à être exhaustive mais a surtout pour objectif d’identifier les secteurs sensibles afin d’orienter les analyses au cas par cas.
L’objectif des sanctions étant de faire une pression économique, celles-ci visent des secteurs stratégiques, notamment le système financier, l’aérospatial, l’énergie, le domaine IT, pour citer les plus touchés. Les instruments juridiques utilisés, en l’espèce par l’UE et par les Etats-Unis, sont variés :
Compte tenu de l’ampleur de ces mesures, auxquelles s’ajoutent en sens inverse les mesures de rétorsion prises par la Russie, la quasi-intégralité des acteurs économiques russes sont devenus des partenaires à risque élevé soit en raison de l’application directe des sanctions, soit en raison de leur incapacité pratique à exécuter leurs engagements.
Tout d’abord, il convient de mentionner les mesures individuelles restrictives qui peuvent se manifester par le gel des avoirs ou l’interdiction de mise à disposition de fonds touchant de nombreuses personnes physiques et entités russes. Ces mesures sont évolutives, cela signifie qu’il est probable que la liste des personnes visées soit modifiée. Il convient donc de réaliser un suivi attentif des règlements européens et des textes de l’administration américaine alimentant les listes de personnes sanctionnées.
Les mesures restrictives prises par l’Union européenne le 23 février 2022 visent notamment trois banques russes, Bank Rossiya, Promsvyazbank et Vnesheconombank.[3]
De manière générale et sous réserve d’exceptions limitées, l’UE interdit de fournir un financement ou une aide financière publique en faveur des échanges commerciaux avec la Russie ou des investissements dans ce pays. Les sanctions prises par l’UE visent à limiter les capacités du marché financier russe de recevoir les investissements étrangers, ainsi que de manière plus globale de faire partie du système international des mouvements de capitaux et d’exécution de paiements. Parmi ces sanctions, on recense notamment[4] :
Dans le cadre des sanctions visant les marchés de capitaux, sont interdites les opérations directes ou indirectes d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire, après le 9 Mars 2022, ou toute autre transaction portant sur ceux-ci, par: a) la Russie et son gouvernement; ou b) la Banque centrale russe; ou c) une personne morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou selon les instructions de l’entité visée au point b).
Il est important de rappeler, par ailleurs, que les restrictions financières incluent également les actifs numériques (cryptoactifs) négociables sur les marchés de capitaux.
Les Etats-Unis ont également pris des mesures afin d’atteindre l’infrastructure financière de la Russie et dégrader son activité économique[5].
Des mesures de blocage total ou « full blocking » de certaines banques russes et de leurs filiales ont été mises en place. Il s’agit notamment de Vnesheconombank, Promsvyazbank, VTB Bank, Otkritie, Sovcombank et Novikombank. Par conséquent, sauf exception ou autorisation (par exemple pour certains produits médicaux ou agricoles), dès lors que les actifs de l’une de ces entités vont toucher les systèmes financiers américains, alors ces actifs devront être gelés et signalés à l’Office of Foreign Assets Control (OFAC).
Des sanctions spécifiques ont également été prises à l’encontre de Sberbank (et 25 de ses filiales), banque la plus importante de Russie. Ces mesures interdisent à toutes les institutions financières américaines d’ouvrir ou de maintenir les comptes de correspondance de Sberbank et imposent de rejeter les opérations dans lesquelles elle serait impliquée. L’une des conséquences de ces mesures sera la difficulté, voire l’impossibilité, d’utiliser le dollar dans des transactions financières.
De plus, les Etats Unis ont interdit, sauf exception, l’exportation de billets libellés en dollars vers le gouvernement russe ou toute personne située en Russie[6].
L’Union Européenne a interdit la transmission de biens à double usage à toute personne ou entité en Russie ou à des fins d’utilisation en Russie. Les biens à double usage sont les produits ou technologies pouvant être utilisés dans le secteur civil comme dans le secteur militaire. Certains moteurs, matériaux électroniques ou de télécommunication peuvent par exemple être concernés[9].
De même, la fourniture des services en lien avec des produits ou technologies à double usage est prohibée (par exemple, certains ordinateurs, capteurs d’images ou systèmes de navigation…).
S’agissant des Etats-Unis, il convient de se référer à la réglementation Export Administration Regulation dite EAR et sa Commerce Control List (CCL) qui répertorie les biens à double usage.
Dans le cadre des sanctions contre la Russie, les Etats-Unis ont durci le régime EAR :
Tout d’abord, l’Union Européenne[10] et les Etats-Unis[11] ont fermé leur espace aérien à la Russie, pour de nombreuses activités, ce qui peut entrainer des problématiques opérationnelles majeures. Concrètement, il est interdit à tout aéronef exploité par des transporteurs aériens russes, y compris en tant que transporteur contractuel dans le cadre d’accords de partage de codes ou de réservation de capacité, ou à tout aéronef immatriculé en Russie, ou à tout aéronef non immatriculé en Russie mais détenu, affrété ou contrôlé d’une autre manière par une personne physique ou morale, une entité ou un organisme russe, d’atterrir sur le territoire de l’UE, d’en décoller ou de le survoler.
Ensuite, l’UE a prohibé l’exportation d’aéronefs ou de composants d’aéronefs vers toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays[12].
De la même manière que pour les biens à double usage, toute fourniture de services en lien avec les produits interdits (assurance, maintenance, financement…) est également interdite.
L’UE a également introduit des restrictions d’exportation similaires vers la Russie ou vers des entités russes concernant les technologies de navigation maritime et de radiocommunication[13].
Concernant les Etats-Unis, les produits en lien avec des technologies aéronautiques et spatiales sont inclus dans la CCL dans le cadre de la réglementation EAR et peuvent donc être considérés comme des biens à double usage comme expliqué ci-dessus. Cela implique que les transferts de composants à destination de la Russie, directement ou indirectement, sont soumis aux contraintes d’export control sachant que le principe de base appliqué à l’égard de la Russie est d’empêcher toute livraison, assistance, courtage etc. en lien avec les produits concernés.
Sur ce sujet, les Etats-Unis ont mis en place le 8 mars 2022 un embargo portant sur le pétrole et le gaz russe[14]. Le même jour, l’UE a présenté un plan de réduction des importations d’hydrocarbure.
L’UE a également interdit la fourniture, la vente, l’exportation ainsi que la fourniture de services liés aux produits ou technologies propices à une utilisation dans les projets d’exploration, de production et de raffinage du pétrole[15]. De même, l’UE a interdit, le 15 mars dernier, les investissements nouveaux dans le secteur de l’énergie et a instauré une restriction globale concernant les produits, équipements et services dans le secteur de l’énergie[16].
Pour rappel, des mesures d’embargo avaient été prises lors de l’annexion par la Russie de la Crimée en 2014.
A la suite de l’attaque par la Russie de l’Ukraine le 24 février 2022, l’UE a interdit la transmission à toute personne ou entité en Russie ou à des fins d’utilisation en Russie de biens ou technologies susceptibles de (i) contribuer au renforcement militaire et technologique de la Russie et (ii) au renforcement du secteur de la défense et de la sécurité.
La fourniture des services (courtage, financement, assistance technique etc.) en lien avec les biens ou technologies évoqués est également prohibée[17].
Côté américain, l’exportation d’armes en Russie est contrôlée par la réglementation ITAR au sein de laquelle la Russie fait partie d’une liste de pays faisant l’objet d’une politique de refus.
Le 11 mars 2022, un nouvel executive order a étendu les interdictions d’importations en visant les produits de luxe, l’alcool, et les fruits de mer. En outre, toute exportation de produits de luxe vers la Russie a été prohibée.
Enfin, le 15 mars dernier, des restrictions commerciales dans le secteur du luxe et sur les produits sidérurgiques (fer, acier…) ont été instaurées par l’UE[18].
Au vu des sanctions internationales et des mesures de rétorsion prises par le gouvernement russe, les opérateurs économiques qui poursuivraient leurs activités avec des entités ou résidents russes, ou en Russie, pourraient s’exposer au risque : (i) d’être eux-mêmes sanctionnés en cas de non-respect des sanctions internationales et/ou (ii) de faire face à des défauts de paiement de leurs partenaires russes ou, plus globalement, à une impossibilité opérationnelle d’exécution de contrat.
Dans cette optique, les sociétés concernées doivent analyser si les circonstances leur imposent de suspendre, voire de rompre, la relation commerciale les liant avec un partenaire russe.
Plusieurs aspects doivent ici être considérés au cas par cas :
Il est important d’insister, dans l’optique de potentielles procédures contentieuses ou arbitrales qui seraient engagées par des entités russes auprès d’instances arbitrales, sur le fait que les règlements européens imposant les sanctions mettent en place une forme de « bouclier anti-réclamation » en interdisant de faire droit à des demandes qui trouveraient leur origine dans une décision contractuelle (exemple suspension de contrat) prise afin de respecter les régimes de sanctions[20].
Enfin, la rupture des relations commerciales peut conduire à d’autres problématiques plus opérationnelles. Par exemple, en cas de biens physiquement présents en Russie, il devrait être logistiquement complexe d’assurer leur retour. En outre, il n’est pas exclu que des mesures de confiscation soient prises par les autorités russes.
Les contrats internationaux avec des entités russes comportant classiquement des clauses d’arbitrage, il conviendra d’anticiper dans les décisions prises, et leur fondement, la manière dont les tribunaux arbitraux abordent l’impact des sanctions économiques sur les exécutions de contrats.
En substance, dans une approche analyse de risques, il convient pour les acteurs économiques :