Relations Industrie-Commerce : Adapter les contrats en cours & Préparer les négociations commerciales 2021 dans le contexte de crise sanitaire.

01/09/20
Relations Industrie-Commerce : Adapter les contrats en cours & Préparer les négociations commerciales 2021 dans le contexte de crise sanitaire.

En cette période de reprise des négociations commerciales, il nous semble utile de rappeler l’initiative prise par la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) qui a publié le 10 juillet, une recommandation n°20-1 concernant les conventions fournisseurs distributeurs (art. L 441-3 et L 441-4 du Code de commerce) et « les effets de la crise sanitaire de la Covid-19 dans la grande distribution à dominante alimentaire ».[1]

 

De façon pédagogique, ce texte rappelle (1) les principes civilistes applicables pour adapter les contrats 2020 dans un contexte de crise : bonne foi et loyauté, force majeure, imprévision… et (2) encourage à la négociation bilatérale en particulier en matière logistique et en matière de prix, afin de « sauver » le contrat en cours et de préparer les accords futurs.

 

Au-delà des contrats du secteur de la distribution à dominante alimentaire, tous les secteurs sont concernés par des difficultés d’application de contrats en cours et par l’opportunité d’adapter, dès maintenant, les contrats au déroulement concret de la relation commerciale.

 

S’agissant des contrats à venir, les propositions de contrats, conditions générales de vente et de conditions d’achat, doivent également être analysées et adaptées aux effets de la crise et aux changements de stratégies qui peuvent légitimement s’opérer à l’initiative des fournisseurs ou des acheteurs.

 

Ainsi, comme le rappelle la CEPC, dans le secteur de la distribution par exemple, la crise sanitaire a entrainé des modifications des modes de consommation impliquant pour les fournisseurs d’adapter leur production et leurs conditions de vente à de nouvelles demandes. Quant aux distributeurs, ils ont dû adapter leurs achats, les flux logistiques, l’organisation des points de vente physiques et internet, et parfois même leur concept de vente à l’évolution de la demande et aux incontournables règles sanitaires. Ces différentes réalités « business » et financières doivent se traduire dans les contrats.

 

Une revue des contrats en cours doit donc être menée, tant par les fournisseurs que par les acheteurs, en tenant compte concrètement de la façon dont les contrats 2020 ont été exécutés et souvent dans les faits adaptés de façon non écrite, depuis le début de la crise sanitaire.

 

Les événements et les faits qui étaient imprévisibles et irrésistibles au début de l’année 2020 relèvent de circonstances connues pour les négociations qui débutent et, les contrats commerciaux qui entreront en vigueur en 2021, doivent être adaptés dans le respect du droit des contrats[2] et de la concurrence[3].

 

1. Rappel de principes juridiques et leur application en temps de crise sanitaire

 

Dans un premier temps la CEPC rappelle, dans sa recommandation, l’existence et la définition de différentes notions juridiques, prévues par le Code civil et qui sont à la disposition des parties au contrat pour adapter les accords en cours et anticiper les conditions générales et les conventions qui seront applicables en 2021 :

 

  • Loyauté et bonne foi qui conduisent, notamment, à informer son cocontractant des circonstances pouvant modifier ou suspendre de manière plus ou moins durable l’exécution de ses obligations (art. 1104 du Code civil) ;
  • Force majeure: Lorsque les critères d’appréciation de la force majeure sont réunis (extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité), cette qualification peut exonérer le débiteur de son obligation et de sa responsabilité (par exemple, l’obligation du vendeur de délivrer en temps et en heure la marchandise commandée). L’article 1218 du Code civil n’étant pas d’ordre public, il est nécessaire d’analyser les contrats conclus (conventions uniques, CGV et CGA) entre fournisseur et distributeurs, et notamment :
      • Les obligations contractuelles dont l’exécution s’avère réellement impossible,
      • Les clauses contractuelles aménageant ou relative à la force majeure,
      • La date de signature du contrat au regard de la connaissance de la crise sanitaire et de ses effets réels ou prévisibles.
  • L’imprévision: La théorie de l’imprévision (article 1195 du Code civil) peut elle aussi être aménagée contractuellement, voire être exclue du contrat par les parties. Elle vise l’hypothèse d’un changement imprévisible de circonstances rendant l’exécution de l’obligation contractuelle excessivement onéreuse, par exemple en raison de surcoûts de production ou logistiques au regard d’un niveau de marge.
  • L’exception d’inexécution et l’exception pour risque d’inexécution : ces mécanismes (art. 1219 et 1220 du Code civil) envisagent une suspension des relations commerciales dans le cadre d’un régime de responsabilité contractuelle du fait d’une inexécution d’une obligation contractuelle.

 

2. Recommandations de la CEPC quant aux effets de la crise sur la gestion de la relation commerciale et les contrats

 

Dans un second temps, la CEPC, compte tenu des multiples facteurs ayant contraint les entreprises à fonctionner en mode dégradé pendant plusieurs mois, recommande l’analyse proportionnée et la recherche avec discernement d’une solution amiable aux dysfonctionnements et aux non exécutions contractuelles liés à la crise sanitaire.

 

La CEPC encourage notamment les partenaires commerciaux :

En matière logistique,

  • à ne pas revenir sur la suspension des pénalités (logistiques, taux de service…) admise communément depuis le début de la crise sanitaire et à les annuler formellement,
  • à mettre en place rapidement des « démarches de progrès spécifiques à la sortie de crise » en prenant en considération les éléments conjoncturels et la situation des fournisseurs et des distributeurs au cas par cas,
  • à s’accorder sur un « suivi individualisé des taux de service » en accompagnant le retour à une situation normale d’aménagements prenant en compte les variations de volumes dans les commandes,
  • à assurer une transparence de l’information sur les éventuelles difficultés entre les partenaires commerciaux dans le respect du droit de la concurrence, pour gérer le risque d’entente anticoncurrentielle (par exemple mise en place coordonnée d’une répartition de la production, d’un contingentement, d’un partage d’informations sensibles afin d’organiser et de répartir des approvisionnements entre distributeurs concurrents ou des achats entre fournisseurs concurrents…).

En matière commerciale,

  • à mettre en place des « plans de continuité d’activité » et des mesures « visant à satisfaire l’ensemble des commandes des distributeurs » dans le respect du droit de la concurrence,
  • à négocier une révision du chiffre d’affaires prévisionnel affecté par la crise,
  • à évaluer l’exécution des NIP et des services de coopérations commerciales, et plus largement des services rendus en principe par les distributeurs, afin le cas échéant de les replanifier, de les redéfinir ou de procéder à des « remboursements ou à des compensations ».

En tout état de cause, les conditions contractuelles ne doivent pas faire l’objet de modifications imposées unilatéralement. L’accent est mis sur le dialogue entre les partenaires commerciaux, la CEPC précisant notamment que les parties peuvent procéder à une adaptation de certaines obligations pour l’avenir, dans le respect du principe de l’équilibre contractuel[4].

 

Ainsi, la CEPC prend le soin de préciser que les coûts supplémentaires supportés par les différents acteurs du fait du contexte de crise sanitaire ne sauraient constituer à lui seul le motif d’une renégociation du prix dans les contrats en cours. Dans l’hypothèse de coûts supplémentaires, et même dans le silence du contrat, les parties doivent pouvoir discuter de bonne foi, pour permettre d’assurer la continuité de la relation contractuelle. A défaut, les mécanismes juridiques rappelés précédemment (force majeure ou imprévision) pourront être utilisés, sous réserve des termes du contrat qui peuvent aménager voire exclure leur applicabilité.

 

La CEPC met donc l’accent sur la négociation bilatérale. Le recours à la médiation est également encouragé afin de limiter le risque de contentieux souvent perçu à raison, mais aussi parfois à tort, comme incompatible avec la poursuite ou la reprise de relations commerciales.

 

 

Les avocats de notre société restent à votre entière disposition pour vous assister dans la gestion de vos contrats et relations commerciales, l’adaptation de vos CGV ou CGA à votre stratégie commerciale pour anticiper dans les meilleures conditions les négociations commerciales 2021.

 

 

***

[1] Pour mémoire, depuis l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du Code de commerce, deux régimes de convention, rapidement décrits par la CEPC dans sa recommandation, sont définis par la loi pour encadrer les relations commerciales fournisseurs distributeurs : (i) Le régime « socle » avec une convention applicable aux différents circuits de distribution de biens et services, et aux grossistes (de façon générale à tous secteurs sauf ceux des PGC). (ii) Le régime « PGC, produits de grande consommation », spécifique à certains produits lités par décret du 19 décembre 2019.

[2] L’Ordonnance n° 2016-131 réformant le droit des contrats a été publiée au JO le 11 février 2016 et est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, en codifiant dans de nouveaux articles la jurisprudence de la Cour de cassation notamment en matière de force majeure, d’imprévision et en introduisant la notion d’avant contrat et de conditions générales.

[3] L’Autorité de la concurrence a publié pendant la crise sanitaire un communiqué relatif aux risques de pratiques abusives et anticoncurrentielles dans le contexte de crise sanitaire, traitant notamment de formes de coopération temporaire pour garantir la production et la distribution équitable de produits de première nécessité. Voir également le communiqué du 23 mars 2000 relayant le message du réseau européen de concurrence.

[4] L’examen de la jurisprudence illustre le fait que le « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » au contrat est la (seconde après la rupture brutale) pratique restrictive de concurrence la plus jugée dans les contentieux commerciaux (article L 442-1 du Code de commerce depuis l’ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, adoptée en application de la loi EGALIM, article 17, en date du 30 octobre 2018).

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