Marchés publics et concessions

18/05/20
Marchés publics et concessions

Quelles mesures pratiques du fait de l’Etat d’urgence sanitaire ?

Article mis à jour le 18 mai 2020

 

La commande publique a été, durant le confinement, à l’image du reste du pays : alors que de nombreux contrats en cours ne pouvaient plus être exécutés dans des conditions normales, certains acheteurs ont quant à eux dû faire face à des besoins urgents pour contribuer à la lutte contre le COVID 19…

 

C’est pourquoi le Ministère de l’Economie a annoncé très tôt des premières mesures de soutien aux entreprises, complétées ensuite par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (ci-après « l’Ordonnance »). Ces dispositions ont été complétées par une fiche explicative et des questions-réponses sur la passation/exécution des marchés publics le 30 mars dernier, régulièrement mises à jour. Au niveau européen, la Commission européenne a publié le 1er avril 2020 une communication sur l’utilisation des marchés publics dans cette période d’urgence sanitaire permettant de rappeler les outils juridiques existants à disposition des acheteurs afin de faire face à la crise sanitaire.

 

L’Ordonnance a été récemment modifiée par les ordonnances n° 2020-460 du 22 avril 2020 et enfin par l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 pour tenir compte de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

 

D’autres textes adoptés du fait de l’état d’urgence sanitaire peuvent également avoir des conséquences sur la commande publique (cf. par exemple ordonnance du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l’épidémie de COVID-19, telle que modifiée par l’ordonnance n° 2020-562 du 13 mai 2020).

 

L’Ordonnance, prise sur le fondement de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, prévoit plusieurs mesures dérogatoires aux règles de passation et d’exécution des contrats de la commande publique (et plus largement, aux autres « contrats publics » comme par exemple les conventions d’occupation du domaine public…).

 

Ces mesures continuent de s’appliquer, en dépit du déconfinement et sauf disposition contraire, jusqu’au 23 juillet 2010. Toutefois, elles « ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l’exécution de ces contrats, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ». Le rapport au Président de la République souligne donc que leur application nécessite une analyse au cas par cas.

 

Pour qu’elles puissent s’appliquer, les titulaires de marchés publics et les concessionnaires devront donc – comme le rappelle la DAE – constituer un dossier documentaire permettant de justifier les difficultés d’exécution rencontrées du fait du COVID 19 et des mesures adoptées par le Gouvernement (arrêts de travail de leurs salariés, déclarations de défaillance des fournisseurs, constats contradictoires, inventaires, attestations diverses, etc.).

 

Une présentation synthétique des différentes mesures prévues par l’Ordonnance temporairement applicables pour la période courant du 12 mars 2020 au 23 juillet 2020 inclus, ainsi que des outils à disposition des acheteurs rappelés notamment par la Commission européenne et permettant de faire face aux difficultés de cette crise sanitaire, figure ci-dessous.

 

 

 

 

PASSATION DES MARCHES URGENTS

 

Communication de la Commission Européenne du 1er avril 2020 et Fiche de la DAJ du 16 mars 2020

En cas d’urgence : utilisation des délais réduits de présentation des candidatures et des offres

  • Articles R. 2161-3, R. 2161-6 et R. 2161-8 du CCP
  • Procédures ouvertes : réduction de 35 à 15 jours
  • Procédures restreintes :
    • Demande de participation : réduction de 30 à 15 jours
    • Soumission de l’offre : réduction de 30 à 10 jours.
 

Communication de la Commission Européenne du 1er avril 2020 et Fiche de la DAJ du 16 mars 2020

En cas d’urgence impérieuse : recours à la procédure négociée sans publicité préalable

  • Article R. 2122-1 du CCP
  • Critère de l’imprévisibilité rempli selon la Commission Européenne ;
  • Analyse au cas par cas pour déterminer si le besoin fait l’objet d’une urgence « simple » ou impérieuse ;
  • Exclusivement utilisable pour les montants et la durée strictement nécessaires à la satisfaction des besoins urgents ;

Mais précautions nécessaires dues à la divergence entre le droit interne et le droit européen :

  • Pour la Commission européenne (Communication, p. 4), cette urgence impérieuse ne dispense pas de mise en concurrence lorsque plusieurs opérateurs économiques peuvent répondre aux besoins : « Cette procédure permet aux acheteurs de négocier directement avec les contractants potentiels ; l’attribution directe à un opérateur économique reste l’exception et n’est applicable que si une seule entreprise est en mesure de respecter les contraintes techniques et de temps imposées par l’urgence impérieuse »
  • En droit interne (article R. 2122-1 CCP), l’urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures autorise que le contrat soit négocié sans publicité ni mise en concurrence préalable.
 

Communication de la Commission Européenne du 1er avril 2020

Solutions de substitution et collaboration avec le marché

Les acheteurs publics sont habilités à jouer un rôle actif sur les marchés et à participer à des actions de mise en relation pour stimuler les offres :

  • en ayant recours à des outils numériques innovants pour susciter un large intérêt parmi les acteurs économiques capables de proposer des solutions de remplacement (hackathons pour faire émerger de nouveaux concepts en vue de la réutilisation de masques de protection après nettoyage…)
  • en collaborant plus étroitement avec des écosystèmes de l’innovation ou des réseaux d’entrepreneurs, qui sont susceptibles de proposer des solutions.

PASSATION DES CONTRATS DE LA COMMANDE PUBLIQUE NON URGENTS

 

Article 2 de l’ordonnance

Prolongation des délais de réception des candidatures et des offres, prévus dans les procédures en cours de passation

  • pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner ;
  • pour une durée suffisante déterminée par l’acheteur au regard notamment de la complexité des dossiers à constituer ;
  • sauf lorsque les prestations du contrat concerné ne peuvent souffrir aucun retard ;
  • pour les procédures de consultation lancées avant ou après la crise sanitaire.

Les candidats ayant déjà déposé une offre avant le report du délai peuvent bénéficier du nouveau délai pour déposer une nouvelle offre (questions-réponses, p. 3).

Les acheteurs peuvent prolonger la durée de validité des offres remises, sous réserve de l’approbation des soumissionnaires (questions-réponses, p. 5).

 

Article 3 de l’ordonnance

Aménagement des modalités de mise en concurrence en cours de procédure

  • lorsque l’acheteur se trouve empêché de respecter les modalités prévues dans les DCE ;
  • dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats ;
  • sans modification substantielle de la consultation.

Exemples (questions-réponses, p. 6 et s.) :

  • suppression ou report de l’obligation de visite sur place ;
  • introduction de méthodes de négociation ou de dialogue dématérialisées, et non plus en présentiel ;
  • renonciation à l’obligation de signer la candidature ou l’offre (si une telle obligation avait été prévue, puisque le Code de la commande publique ne l’impose pas) ;
  • acceptation des signatures manuscrites scannées en lieu et place d’une signature électronique exigée du marché.

EXECUTION DES CONTRATS

Article 4 de l’ordonnance

Prolongation par avenant des contrats en cours

  • pour les contrats arrivant à échéance entre le 12 mars 2020 et le 23 juillet 2020 ;
  • lorsque l’organisation d’une nouvelle procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre ; et
  • pour une durée ne pouvant excéder l’état d’urgence sanitaire, augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration.

 

Les acheteurs devront ainsi justifier que l’impossibilité de mise en concurrence est due aux conséquences de l’épidémie de COVID-19 et aux mesures prises pour l’endiguer, et non à une impréparation à anticiper la mise en œuvre d’une telle procédure.

 

Cette dérogation peut conduire la durée des accords-cadres à dépasser le seuil de 4 ans pour les pouvoirs adjudicateurs et le seuil de 8 ans pour les entités adjudicatrices (article L. 2125-1 du CCP).

 

En outre, les avenants aux contrats de concession dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et des déchets qui auraient pour effet de prolonger le contrat initial pour une durée totale supérieure à 20 ans sont dispensés de l’examen préalable du directeur départemental des finances publiques (prévu par l’article L. 3114-8 du CCP).

 

Article 5 de l’ordonnance

Double assouplissement des avances

  • taux de l’avance peut être porté par l’acheteur public à un montant supérieur à 60% du montant du marché ou du bon de commande ;
  • les acheteurs publics ne sont plus tenus d’exiger la constitution d’une garantie à première demande pour les avances dont le montant est supérieure à 30% du montant du marché ou du bon de commande.

 

Ces assouplissements constituent ainsi des dérogations à l’article R. 2191-8 du CCP. Il est à noter que l’avance peut porter théoriquement sur l’intégralité du montant du marché.

 

Par dérogation à l’article 1er de l’ordonnance, cet assouplissement s’applique aux contrats en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’une durée de deux mois (soit le 10 septembre 2020).

 

Article 6 1° de l’ordonnance

Allongement des délais contractuels

  • pour une durée « au moins équivalente» à celle de la période d’état d’urgence sanitaire majorée de deux mois (du 12 mars 2020 au 24 juillet 2020 en l’état) ;
  • sous réserve d’une formalisation de la demande d’allongement par le titulaire du contrat avant l’expiration du délai contractuel ; et
  • à condition que le titulaire justifie (i) soit l’impossibilité de respecter le délai d’exécution contractuellement prévu, (ii) soit le fait qu’une exécution du contrat dans le délai prévu nécessiterait des moyen dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive.

La DAJ précise que les parties pourraient d’un commun accord prévoir une prolongation des délais contractuels pour un délai inférieur ou supérieur à celui de la période d’état d’urgence sanitaire majorée de deux mois (questions-réponses, p. 9).

 

Article 6 2° a) de l’ordonnance

Exonération de la responsabilité contractuelle du titulaire

  • le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée ;
  • sous réserve qu’il justifie de l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou du contrat, notamment « lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive».

 

 

Article 6 2° b) de l’ordonnance

Possibilité pour l’acheteur de conclure un marche de substitution

  • pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard ;
  • même en présence d’une clause d’exclusivité ;
  • sans que le titulaire du marché initial puisse engager la responsabilité contractuelle de l’acheteur pour ce motif ;
  • à condition que le titulaire du marché initial démontre être dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive.

 

Dans cette hypothèse, l’exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques du titulaire du marché initial (même si le marché initial comporte des clauses en ce sens). Ce marché de substitution pourrait, le cas échéant, être conclu sans publicité en cas d’urgence impérieuse (cf. supra).

 

Article 6 3° de l’ordonnance du 25 mars 2020

Indemnisation des dépenses engagées en cas de résiliation du marche ou d’annulation d’un bon de commande

    • indemnisation des dépenses engagées possible lorsque la résiliation du marché ou l’annulation du bon de commande est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;

    possibilité pour le titulaire d’obtenir une indemnisation complémentaire au titre de son manque à gagner, lorsque la résiliation du contrat décidée par l’acheteur ne résulte pas d’un cas de force majeure, c’est-à-dire lorsque les difficultés rencontrées dans l’exécution du contrat ne présentent pas un caractère irrésistible, mais pour lesquelles la résiliation présente un caractère d’intérêt général, et sous réserve que le contrat ne s’y oppose pas (questions-réponses p. 14).

 

Article 6 4° de l’ordonnance

Règlement du prix du marche a prix forfaitaire dont l’execution a été suspendue par l’acheteur

  • le règlement du marché se fait selon les modalités et pour les montants prévus au contrat ;
  • à l’issue de la suspension, un avenant détermine les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l’identique ou sa résiliation ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur ;

 

Selon la DAJ, cette mesure, qui déroge à la règle du service fait, implique que le paiement des échéances « doit continuer, selon la périodicité prévue, quand bien même les prestations du contrat sont suspendues temporairement, ou ne sont que partiellement exécutées ».

 

Article 6 5° de l’ordonnance

Suspension de l’exécution des concessions et des obligations financieres eventuelles du concessionnaire

  • suspension du versement des sommes dues au concédant (loyers, redevances d’occupation domaniale, redevances destinées à contribuer à l’amortissement des investissements réalisés par le concessionnaire, intéressement, etc) ;
  • versement possible au concessionnaire d’une avance sur sommes dues par le concédant si la situation du concessionnaire le justifie et à hauteur de ses besoins.
 

Article 6 6° de l’ordonnance

Indemnisation du concessionnaire en cas de modification du contrat de concession par l’autorité concédante

  • en cas de modification significative des modalités d’exécution du contrat de concession par le concédant ;
  • indemnité destinée à compenser le surcoût résulte de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux, « lorsque la poursuite de l’exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire».

Cette mesure permet de mettre en œuvre le droit à indemnisation du concessionnaire rappelé au 4° de l’article L.6 du CCP lorsque la modification du contrat de concession est rendue nécessaire par des circonstances qu’une autorité concédante diligente ne pouvait pas prévoir (article R. 3135-5 du CCP)..

 

Article 6 7° de l’ordonnance

suspension du versement des redevances d’occupation du domaine public

Lorsque les marchés publics ou concessions autorisent leur titulaire à occuper le domaine public, et si ce dernier n’est plus en mesure de payer la redevance domaniale due en raison d’une forte dégradation voire d’une interruption de son activité, il lui est possible d’en suspendre le versement au plus tard jusqu’au 10 juillet 2020. A l’issue de cette suspension, en fonction des perspectives de reprise d’activité, un avenant détermine les modifications du contrat qui apparaissent nécessaires.

 

Article 6-1 de l’ordonnance

Dispense de passage en commission pour les avenants qui entraînent une augmentation du montant du contrat de plus de 5%

 

Cette mesure constitue une dérogation substantielle aux règles prévues aux articles L. 1411-6 et L. 1411-4 du Code général des collectivités territoriales soumettant les projets d’avenant aux délégations de service public et aux marchés publics entraînant une augmentation du montant global du contrat supérieure à 5% de l’avis préalable de la commission de délégation de service public ou de la commission d’appel d’offres.

 

 

Pour aller plus loin