Mapa : l’effectivité du droit au recours des candidats évincés questionnée

20/07/20

Par Thomas Vaseux

Mapa : l’effectivité du droit au recours des candidats évincés questionnée

Le 8 juillet, la Cour de cassation a transmis trois QPC au Conseil constitutionnel concernant les recours ouverts aux candidats évincés de l’attribution de contrats privés de la commande publique passés selon une procédure adaptée.

La question de l’effectivité des voies de recours ouvertes aux candidats évincés des procédures de passation des contrats de la commande publique passés selon une procédure adaptée (Mapa) n’est pas nouvelle. Cette question présente toutefois un intérêt renouvelé au regard de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 (n° 19-24270) concernant, plus spécifiquement, le cas des contrats privés de la commande publique.

Dans cette décision, la Haute juridiction a en effet transmis trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel concernant les dispositions relatives au référé contractuel de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 (ordonnance dite « recours » (1)).

 

 

La question du droit au recours effectif des candidats évincés des contrats passés en Mapa

Pour les contrats de la commande publique (de nature administrative ou de droit privé) passés selon une procédure formalisée – en résumé, les marchés publics et concessions d’un montant supérieur aux seuils européens -, l’acheteur est tenu de respecter un délai dit de stand still entre la notification du rejet de l’offre des candidats évincés et la signature du contrat. Celui-ci est d’une durée minimale de onze ou de seize jours selon le caractère électronique ou non de cette notification. Ce délai a pour objet de permettre aux candidats évincés d’intenter un référé précontractuel à l’encontre de la procédure de passation du contrat, permettant de faire échec à la signature de ce dernier et, le cas échéant, d’entraîner l’annulation de la procédure.

 

Pas de stand still obligatoire en Mapa

Or, la réglementation en vigueur ne prévoit aucune obligation de respecter un tel délai pour les contrats de la commande publique passés selon une procédure adaptée. Les acheteurs peuvent ainsi signer le contrat simultanément à la notification des décisions de rejet des offres des candidats évincés. Dans cette hypothèse, ces derniers se voient donc mécaniquement privés de la possibilité d’exercer un référé précontractuel, en raison de la signature du contrat. Le Conseil d’Etat considère que, en Mapa, les acheteurs ne sont pas tenus de respecter un délai minimal entre la notification du rejet des offres des candidats et la signature du contrat (CE, 19 janvier 2011, Grand Port Maritime du Havre, n° 343435), en dépit de la résistance de certaines juridictions du fond arguant du nécessaire respect d’un délai raisonnable afin de préserver l’effet utile du référé précontractuel.

Lorsque le contrat est signé, les candidats évincés de contrats de la commande publique disposent, en application de l’ordonnance dite « recours », de la possibilité d’intenter un référé contractuel. Or, une telle voie de recours présente un intérêt très limité puisque les hypothèses de nullité du contrat sont très restrictives. Celle-ci ne sera encourue que si aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise ou lorsqu’a été omise une publication au niveau européen (2). La question de la conformité d’un tel dispositif au droit à un recours juridictionnel effectif est ainsi légitime.

 

La situation particulière du candidat évincé de l’attribution d’un contrat privé de la commande publique

Les questions préjudicielles en cause ici ne portent toutefois pas directement sur la conformité à la Constitution des voies de recours offertes, de manière générale, aux candidats évincés de contrats de la commande publique passés en Mapa, mais seulement sur celles ouvertes lorsque ces contrats sont de droit privé.

La Cour de cassation relève dans l’arrêt commenté que les candidats évincés d’un contrat administratif disposent de la faculté de former un recours en contestation de validité du contrat (CE, 4 avril 2014, « Département de Tarn-et-Garonne », n° 358994). Ce recours dit « Tarn-et-Garonne », formé après la signature du contrat, permet notamment au juge de prononcer, selon l’irrégularité invoquée, la résiliation voire la résiliation du contrat. C’est d’ailleurs en raison de l’existence de cette voie de recours que le Conseil d’Etat a considéré que le principe d’absence de caractère suspensif du pourvoi en cassation introduit devant lui à l’encontre d’une ordonnance rendue à la suite d’un référé précontractuel (ce qui permet donc à l’acheteur de systématiquement signer le contrat, privant le pourvoi de toute chance de réussite) n’était pas contraire au droit à un recours juridictionnel effectif (CE, 15 février 2013, Société Novergie, n° 364325).

 

Ce recours en contestation de la validité du contrat n’est toutefois pas ouvert à l’encontre des contrats privés de la commande publique. Ainsi, lorsque ces contrats privés ont été passés selon une procédure adaptée et qu’aucun délai de stand still n’a été prévu par l’acheteur (fermant ainsi la voie du référé précontractuel), les candidats évincés disposent d’une marge de manoeuvre étroite pour remettre en cause la régularité de la procédure d’attribution. En effet, le référé contractuel, en raison de son caractère inefficient, ne peut être regardé comme satisfaisant, ce qui a justifié ici la transmission des questions préjudicielles au Conseil constitutionnel.

La Cour a en effet estimé que « les dispositions visées par les questions pourraient avoir pour résultat de priver les candidats évincés d’un recours utile contre les décisions d’attribution de commande publique de droit privé irrégulières pour d’autres causes que celles énoncées par l’article 16 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et de les placer, de ce fait, dans une situation d’inégalité au regard de la situation des candidats à des procédures de commandes publiques de droit public ».

 

Recours en responsabilité ou en nullité

Les candidats évincés de l’attribution de tels contrats ne semblent toutefois pas totalement démunis. En effet, ils peuvent intenter devant le juge judiciaire un recours en responsabilité pour faute en réparation du préjudice subi du fait des irrégularités entachant la passation d’un contrat au titre de l’article 1240 du Code civil. En théorie aussi, l’action en nullité devant le juge judiciaire devrait leur être ouverte au regard des articles 1178 et suivants du Code civil. Toutefois, l’effectivité d’une telle action demeure incertaine, faute de jurisprudence éclairante sur la question.
La décision à venir du Conseil constitutionnel devrait ainsi permettre d’apporter un éclairage sur le caractère effectif des voies de recours susceptibles d’être intentés à l’encontre des contrats privés de la commande publique, et notamment de l’action en nullité précitée. Plus largement, cette décision pourrait également alimenter le débat sur l’absence de délai de stand still prévu pour les contrats passés en Mapa. La réponse est attendue dans trois mois.

 

Cass. com., 8 juillet 2020, n° 19-24270

 

(1) Pour mémoire, l’article 1er de cette ordonnance consacré aux recours ouverts contre les contrats de nature administrative a été transposé dans le Code de justice administrative aux articles L. 551-1 et suivants.
(2) Article L. 551-18 du Code de justice administrative et article 16 de l’ordonnance.

 

 

Article publié pour la 1ère fois le 10 juillet 2020 dans lemoniteur.fr

 

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