Fiscalité et covid-19 – attention aux mirages

L’absence de contrôle fiscal pendant la période critique a un prix !

Les mesures fiscales adoptées dans le contexte de l’épidémie du COVID-19 peuvent sembler à première lecture rassurantes puisqu’elles sont censées, par des dispositifs de report dans le paiement des impôts dus, de remises de certains impôts, pénalités et intérêts, supporter les entreprises en leur permettant de ne pas obérer leur trésorerie déjà mise à mal par la pandémie. Mais l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période offre à certains égards une lecture beaucoup moins positive.

En effet, derrière l’apparente clémence fiscale reflétée par le florilège de mesures bienveillantes, l’article 10 de l’ordonnance précitée^[1] apporte une précision pour le moins inquiétante s’agissant du délai de prescription échu au 31 décembre 2020. En suspendant à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la fin de la période d’urgence sanitaire les délais impartis à l’administration fiscale pour réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l’assiette de l’impôt, les insuffisances ou inexactitudes ou erreurs d’imposition et appliquer des intérêts de retard et sanctions, l’article 10 proroge de facto les délais ouverts à l’administration fiscale pour corriger le contribuable au-delà des délais de prescription de droit commun. Ainsi, l’administration fiscale ne pourra se voir valablement opposer le butoir du 31 décembre 2020 s’agissant d’omissions ou d’erreurs commises par le contribuable en 2017, lesquelles auraient dû normalement être atteintes par le jeu naturel de la prescription au 31 décembre 2020.

Si une telle dérogation au principe du droit commun de la prescription s’entend parfaitement dès lors qu’elle n’est finalement que la suite logique et la conséquence mécanique de la décision de suspendre et surtout de n’entreprendre aucun nouveau contrôle fiscal pendant le période dite critique pour ne pas rajouter à l’anxiété ambiante, la dichotomie dans la mise en œuvre de cette mesure peut surprendre. En effet, l’article 10 précité réserve cette « extension » d’action au seul bénéfice de l’administration fiscale à l’exclusion du contribuable dès lors qu’il ne prévoit pas en miroir, une extension symétrique du délai imparti au contribuable pour réclamer.

Il y a fort à parier que cette mesure à sens unique qui constitue une entorse au principe d’égalité va faire parler d’elle et susciter des remous.

^[1] Article 10 :

I. Sont suspendus à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la fin de la période définie au I de l’article 1er et ne courent qu’à compter de cette dernière date, s’agissant de ceux qui auraient commencé à courir pendant la période précitée, les délais :
1° Accordés à l’administration pour réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l’assiette de l’impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d’imposition et appliquer les intérêts de retard et les sanctions en application des articles L. 168 à L. 189 du livre des procédures fiscales ou de l’article 354 du code des douanes lorsque la prescription est acquise au 31 décembre 2020 ;
2° Accordés à l’administration ou à toute personne ou entité et prévus par les dispositions du titre II du livre des procédures fiscales, à l’exception des délais de prescription prévus par les articles L. 168 à L. 189 du même livre, par les dispositions de l’article L. 198 A du même livre en matière d’instruction sur place des demandes de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que par les dispositions des articles 67 D et 345 bis du code des douanes ;
3° Prévus à l’article 32 de la loi du 10 août 2018 susvisée.
II. Les dispositions de l’article 2 de la présente ordonnance ne s’appliquent pas aux déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes.