Dossier – Mobilité, aménagement urbain et digital : quels enjeux juridiques pour les projets de Smart Healthy City à l’ère du Covid-19 ?

10/09/20
Dossier – Mobilité, aménagement urbain et digital : quels enjeux juridiques pour les projets de Smart Healthy City à l’ère du Covid-19 ?

La crise du Covid-19 a bouleversé les usages et les attentes des citoyens dans de très nombreux domaines. Parmi eux figurent bien évidement le secteur des mobilités et de l’aménagement de l’espace urbain.

 

Par ces temps de crise, les citoyens se sont écartés des mobilités collectives pour se reporter sur les mobilités individuelles, notamment les mobilités vertes comme le vélo. Cherchant spontanément à réduire les risques de propagation du virus, ils ont ainsi, volontairement ou non, diminué leur empreinte carbone. Au-delà de ces nouveaux comportements, la crise sanitaire a également induit de nouvelles attentes de la part des citadins : une protection accrue de la part des villes face au risque sanitaire, un environnement moins pollué et plus vert, tout en sécurisant et en limitant l’usage des données personnelles.

 

Pendant les périodes récentes de confinement et de déconfinement, un certain nombre de mesures ont été adoptées en urgence par les pouvoirs publics afin de répondre à ces nouvelles attentes.

 

Tandis que la crise sanitaire continue de faire son œuvre et modifie en profondeur la vie dans la cité, certaines de ces mesures sont en passe d’être sécurisées et pérennisées voire élargies afin de trouver un nouvel équilibre entre la préservation de la santé des citoyens, la protection de leur environnement et le respect de leur vie privée.

 

Dans cet article, nous vous proposons de nous pencher ensemble sur ces nouvelles tendances et les principaux enjeux juridiques qui y sont liés.

 

A- Favoriser les mobilités individuelles décarbonées par rapport aux mobilités collectives?

 

Le report des usagers des transports collectifs vers les mobilités individuelles décarbonées

 

Jusqu’à la crise sanitaire liée au Covid-19, l’axe majeur des politiques locales en matière de déplacements urbains était le développement des transports collectifs.

 

Le nombre considérable de projets en Ile-de-France en est un exemple flagrant : prolongement de quatre lignes de métro (4, 11, 12 et 14), d’une ligne de RER (E – Projet Eole), de tramways (T1, T3b,T4, T7 et T8) et créations de nouvelles lignes de tramway (T9, T10, T12 et T13) ainsi que celles du Grand Paris Express (15 Sud, 15 Est, 15 Ouest, 16, 17 et 18). Le même mouvement était constaté sur le reste du territoire, à l’instar des nombreux projets de BHNS (Bus à Haut Niveau de Services) et de tramways.

 

Or, ces transports collectifs s’accompagnent d’investissements publics lourds, justifiant par exemple à la fin de l’année 2019, l’augmentation de la contribution de l’Etat dans les systèmes de transport[1], au travers de l’AFTIF[2] (dont la majeure partie des ressources est affectée aux infrastructures de transports notamment collectifs).

 

Or, la crise sanitaire est venue bouleverser cette tendance : les transports « publics » ou « en commun », sont stigmatisés dans une période où la distanciation sociale est de mise, particulièrement dans les lieux publics clos. Leur fréquentation a fortement chuté[3], ce phénomène étant amplifié par la météo clémente qui a accompagné les périodes de confinement et de déconfinement.

 

Théorie des dominos oblige, les transporteurs et autorités organisatrices publics font aujourd’hui face à une situation financière extrêmement critique[4]. A la suite de l’annonce de l’interruption par Ile-de-France Mobilités de ses versements mensuels à la RATP et à la SNCF, cette dernière aurait décidé de suspendre plus de 80 projets. La dotation exceptionnelle en faveur d’Ile-de-France Mobilités décidée par le Parlement[5] ne suffira certainement pas à lever l’ensemble de ces difficultés.

 

Bien sûr, de très nombreux usagers continueront d’utiliser les transports publics, dont l’offre devra s’adapter au monde de demain. Certains réseaux de transport réfléchiraient ainsi à des abonnements spécifiques pour le télétravail (quelques jours de déplacement par semaine) ou à des systèmes de réservation de créneaux horaires[6].

 

Reste toutefois un constat partagé par de nombreux citadins : la crise sanitaire a catalysé une tendance jusqu’à présent sous-jacente, celle d’un report des usagers des transports publics urbains vers les mobilités individuelles, qu’elles soient décarbonées ou fonctionnent encore avec un moteur thermique[7]

La nécessité de favoriser le développement des mobilités individuelles décarbonées

 

Ce changement de paradigme est le résultat logique de l’essor, depuis quelques années, de nouvelles mobilités individuelles décarbonées en milieu urbain, comme alternative à la voiture personnelle[8] ou aux transports publics. Elles regroupent principalement (i) les mobilités actives, telles que désormais définies dans le Code des transports (principalement le vélo et la marche à pied…)[9] et (ii) les Engins de Déplacement Personnel Motorisés ou « EDPM » (trottinettes électriques, gyroroues…), qui ont, quant à eux, été intégrés dans le Code de la route[10] et sont encadrés par la LOM et le décret du 23 octobre 2019[11].

 

Dans la roue du Plan vélo, présenté le 14 septembre 2018 par le Gouvernement, la LOM avait déjà multiplié les mesures incitatives : (i) intégration des Véloroutes[12] dans le Code des transports[13] et le Code de la voirie routière[14] en plus de la réalisation des itinéraires cyclables[15] déjà imposée aux gestionnaires de voirie lors des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, (ii) mesures en faveur de l’intermodalité[16], (iii) lutte contre les vols[17] et (iv) impulsion d’une « culture vélo »[18].

 

Dans ce contexte, la tendance du déconfinement est incontestablement le vélo. A Paris, le nombre moyen de passages de vélos par heure a plus que doublé (119%) par rapport à la même période en 2019. Certains grands axes parisiens comptent même désormais plus de vélos que de voitures aux heures de pointe. C’est ainsi qu’ont fleuri, à Paris et ailleurs, les « RER V », « vélopolitain », et « coronapistes »…

 

Ces itinéraires cyclables et Véloroutes se sont enrichis de voies cyclables provisoires, dont la création dans l’urgence a suscité diverses questions juridiques : concertation entre collectivités territoriales, conception sans étude approfondie de faisabilité faute de délai, responsabilité des élus en cas d’accidents… Pour beaucoup de collectivités, l’ambition est d’ores et déjà de les pérenniser, après avoir dressé un bilan positif de cette première expérience. L’Etat a lancé en ce sens un second appel à projets pour le financement des projets de pérennisation des pistes cyclables de transition.

 

Le ministère de la transition écologique et solidaire a annoncé fin avril 2020, un plan de 20 millions d’euros en partenariat avec la Fédération française des usagers de la bicyclette (la FUB)[19]. Ce plan prévoit, entre autres, un « coup de pouce réparation vélo » (aide pour la remise en état d’un vélo allant jusqu’à 50 euros hors taxes[20]) et le financement de formations pour apprendre ou réapprendre à rouler à vélo, et l’accélération de la mise en place du forfait mobilités durables[21]. Pourtant, un autre enjeu de taille reste à résoudre : celui du stationnement de ces vélos, pour lequel la région Île-de-France et la maire de Paris Anne Hidalgo, ont multiplié les annonces.

 

Cette tendance sera-t-elle durable ? Résistera-t-elle au froid et à la pluie ? Si le comportement des utilisateurs est difficile à anticiper, les collectivités territoriales semblent, quant à elles, avoir tout à gagner à favoriser le développement des mobilités individuelles – non carbonées – sur leur territoire. Le développement de ces nouvelles mobilités décarbonées repose en effet :

  • Sur des attentes locales fortes – dont le succès des écologistes aux municipales 2020 s’est fait l’écho ;
  • Sur un modèle qui ne mobilise pas d’investissements publics aussi massifs que pour les transports publics, ce qui est favorable dans le contexte actuel de baisse des ressources liées à la crise sanitaire[22]: le recours aux vélos et EDPM repose pour l’essentiel sur le secteur privé puisque ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui financent l’acquisition ou la location de leur matériel. Bien évidemment, les collectivités territoriales peuvent décider d’y contribuer par des mesures financières d’accompagnement – telles que les nombreuses aides aux particuliers pour l’acquisition de véhicules et engins électriques.
  • Sur des solutions au contraire génératrices de recettes publiques pour les collectivités territoriales, à l’instar :
    • Des autorisations d’occupation temporaires (AOT) du domaine public délivrées aux opérateurs de services de partage de véhicules, cycles et engins, notamment en free-floating[23]. Des procédures de consultation ont ainsi été lancées par de nombreuses collectivités pour les trottinettes électriques : à Paris avec une restriction à 3 opérateurs pour 15.000 trottinettes au total[24], à Lyon avec 2 opérateurs…
    • Du modèle des contrats de mobilier urbain, notamment concessifs, dans lesquels la collectivité publique peut percevoir une redevance, et/ou faire financer un service par un abandon de recettes[25].

 

Surtout, le sujet des mobilités du quotidien occupe sans surprise une part du plan France Relance annoncé par le gouvernement le 3 septembre dernier. Dans une logique de soutien public aux investissements, l’une de ses déclinaisons concerne le développement de nouvelles offres de service de transport collectifs dans les zones urbaines. Mais la première d’entre elles repose sur une accélération « sans précédent » des travaux d’aménagement de réseaux cyclables, avec des moyens multipliés par 2 !

 

Le point de vue de l’ingénieur avec des chiffres comparatifs clefs et les tendances pour les mois à venir entre vélo, transports publics et automobile

Florian ChaixCeRyX Trafic System

 

Quel regard portez-vous sur les aménagements cyclables provisoires créés à l’occasion du déconfinement ?

Ces aménagements ont fait l’objet d’une mise en œuvre très rapide, souvent sans étude préalable posant donc parfois des problèmes de sécurité.

Le mois de juillet a ainsi connu le taux de mortalité pour les cyclistes le plus élevé depuis 10 ans, avec 29 personnes décédées[26]. Cette augmentation est en partie due au non-respect des vitesses (15%), à des comportements dangereux des usagers et à l’augmentation du nombre de cyclistes.

Il est également constaté sur certains territoires une augmentation de l’ordre de 20 à 30% du trafic automobile durant le déconfinement, générant de nombreux cas d’incivilité et un risque accru en matière de sécurité.

Dans ce contexte, le CEREMA a émis des recommandations qui permettent un partage « équitable » de la voirie et qui garantissent une circulation des modes actifs en toute sécurité. Les études d’aménagement effectuées doivent prendre en compte ces recommandations, ainsi que la modification de plans de circulation, de la baisse des vitesses, les emprises disponibles, etc.

 

Sur la base de votre expérience, la tendance actuelle en faveur du vélo sera-t-elle durable ?

L’élan actuel est incontestable : on estime déjà à 500.000 le nombre de vélos réparés grâce à l’aide financière de l’Etat. Ce plan a permis de gagner 5 à 10 ans d’avance sur la pratique du cyclisme, selon Olivier Schneider, Président de la Fédération des cyclistes. On a aussi enregistré des progressions de 60% à 100% du nombre de passages sur les points de comptages permanents à Lyon, Mulhouse, Rouen, Strasbourg, et en Ile de France[27].

Mais le constat fait au cours des précédentes années est celui d’une perte d’environ 40% des cyclistes entre l’été et l’hiver. A Paris, les déplacements professionnels à vélo étaient de 4% en 2018[28], alors qu’ils étaient de 10% en 1970. La période hivernale approchant, il y a fort à penser que le recours aux transports collectifs ou individuels motorisés va revenir à la normale. Seuls les déplacements courts (moins de 5 km) conserveront un attrait pour les modes actifs.

 

A votre avis, quelle sera l’évolution de ces aménagements cyclables provisoires ?

Je pense que les collectivités territoriales feront à terme le tri entre les aménagements fortement empruntés ou non, et ceux présentant ou non des conflits d’usages. L’objectif est de passer d’un aménagement de ligne jaune (aménagement provisoire) à un aménagement blanc définitif sécurisé.

De nombreuses villes ont déjà fait marche arrière sur le sujet, et supprimé les aménagements provisoires face aux réticences des riverains, des automobilistes et des élus (Chatou, Argenteuil, Drancy, Marseille, etc.), lesquels estiment en effet que pérenniser ces pistes congestionnerait les routes.

A titre d’exemples : à Vincennes sur la RD120, il y a eu 300% d’augmentation de cyclistes post-confinement, soit plus de 3000 cyclistes, qui représentent environ 15% du trafic global[29] ; à Lyon, c’est 2 millions de passages de vélos qui ont été comptabilisés en mai (soit plus de 308.000 passages supplémentaires par rapport à mai 2019)[30].

Or, à partir d’un certain nombre d’usagers, les pistes cyclables temporaires doivent présenter une largeur minimale de 2.5 mètres pour chaque voie, pour permettre aux cyclistes de se doubler : soit une largeur totale de 5 mètres minimum[31], l’équivalent de deux voies de circulation automobile, qui tend donc à supprimer le trafic routier.

Pour les autres aménagements, comme les bandes cyclables qui n’ont pas la même taille, il y aurait rapidement saturation si la tendance actuelle se confirme.

C’est une véritable problématique et un choix politique de développement urbain, qui pourrait se trouver à l’étude. Dans certaines villes, la percée écologique lors des dernières élections favoriserait la réalisation de projets intégrant fortement les aménagements cyclables.

 

 

 

Recommandations juridiques pratiques

pour les acteurs publics et privés des projets de mobilités :

  • Pour les collectivités territoriales et opérateurs liés par un contrat de la commande publique : pour l’adaptation du contrat au contexte actuel et la question de l’indemnisation des surcoûts/pertes d’exploitation, étudier les conditions d’application des clauses du contrat et des dispositifs dérogatoires adoptées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (notamment l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics pendant la crise sanitaire, la circulaire du Premier Ministre du 9 juin 2020 relative à la prise en charge des surcoûts liés à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de la reprise des chantiers de bâtiment et de travaux publics exécutés au titre de marchés publics de l’Etat, la lettre circulaire du 15 mars 2020 du Secrétaire d’Etat chargé des transports aux Préfets de Département et de Région);
  • Pour les collectivités territoriales, leurs groupements et les EPCI : suivre avec attention les conditions d’application du plan de soutien de l’Etat et de France Relance pour pouvoir en bénéficier et pour pouvoir contester si besoin – dans les délais de recours contentieux strictement applicables – le montant des aides versées (pour un précédent lié à l’application des délais de recours concernant les versements de l’Etat, voir le feuilleton contentieux lié au prélèvement TASCOM) ;
  • Pour les collectivités territoriales, leurs groupements et les EPCI souhaitant pérenniser des pistes cyclables provisoires : vérifier l’adéquation des pistes cyclables provisoires aux contraintes de sécurité et aux attentes des usagers et candidater, le cas échéant à l’appel à projets « Fonds Mobilités Actives – Aménagements Cyclables 2020 » ouvert par l’Etat jusqu’au 30 octobre 2020 ;
  • Pour les employeurs : examiner les avantages fiscaux des actions en faveur des mobilités individuelles vertes (forfait mobilités durables, exonéré d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales, réductions d’impôts en cas de mise à disposition des salariés d’une flotte de vélos pour les déplacements domicile-travail…)

 

B- Protéger les individus (et leurs données personnelles) : de la Smart City à la Safe and Healthy City

 

La crise sanitaire a fait évoluer les attentes et besoins des citadins en matière d’aménagement urbain et a confirmé leur grand attachement à la protection de leurs données personnelles.

Ce double mouvement conduit à l’émergence d’un nouveau modèle de projet urbain, de la Smart City à la Safe and Healthy City.

 

La nécessité de protéger la santé des citadins dans la ville

 

Depuis déjà quelques années, le concept de Safe City complète celui des Smart Cities, en y associant des dispositifs numériques destinés à lutter contre les dangers traditionnels de l’espace urbain : vidéosurveillance « intelligente » (fondée sur des algorithmes de détection de mouvements de foule, de violences, d’intrusions), plates-formes d’hypervision (permettant l’analyse de divers fichiers municipaux et nationaux et big data en ligne afin de prévenir les crimes), forces de l’ordre connectées, etc.

 

A l’ère du Covid-19, la Safe City devient désormais une Safe and Healthy City. Cette évolution se manifeste principalement de deux manières.

 

En premier lieu, l’organisation de l’espace urbain doit désormais permettre le respect des règles de distanciation sociale : zones d’attente devant et à l’intérieur des bâtiments publics et des commerces, terrasses de restaurants et de bars élargies, flux de circulation, piétonnisation des rues commerçantes aux heures d‘affluence, etc. Certaines règles dérogatoires ont été adoptées dans l’urgence, sans fondement juridique solide. Il conviendra de sécuriser ces règles et de prévoir, le cas échéant, une flexibilité et une réversibilité dans leur application, afin de distinguer en fonction du niveau de risque sanitaire (apparition d’un espace urbain « à double visage », selon que des mesures de distanciation sociale seront ou non engendrées par une épidémie et notamment d’éventuels foyers d’infection locaux).

 

En second lieu, la Healthy City intégrera des services liés à la santé de ses résidents, notamment :

  • facilitation et distanciation des services de soins notamment par un développement accru de services de téléconsultation, de téléexpertise et de télésurveillance,
  • création de points de santé à proximité des patients,
  • développement de l’hospitalisation à domicile,
  • création d’hôtels hospitaliers et augmentation ou réouverture du nombre de lits d’hôpitaux,
  • optimisation des flux de mobilité des patients et des soignants (notamment par des plateformes de partage de mobilité, y compris de covoiturage),
  • facilitation de l’accès aux soins notamment par une géolocalisation des structures de soins, une gestion améliorée des flux de patients aux urgences ou pour les admissions hors urgences,
  • création d’un nouvel espace numérique de santé individuel pour chaque citoyen, comprenant le dossier médical partagé,
  • objets et applications connectés, coaching santé,
  • robots de téléprésence sociale, domotique, réseaux sociaux pour les séniors,
  • nouvelles plateformes connectées pour les patients,
  • formation renforcée des soignants au numérique, notamment à l’intelligence artificielle en santé avec l’adoption prochaine du concept de garantie humaine dans l’usage d’algorithmes dans les actes de prévention, de diagnostic et de soin[32],

 

Cette démarche s’inscrit notamment dans le cadre du plan d’investissement du Gouvernement en santé numérique et stratégie nationale de e-santé « MaSanté2022 », amorcé en 2018. Des centaines d’acteurs multiplient leurs offres pour la santé numérique, qui s’est vue dotée d’un financement de près de 2 milliards d’euros dans le cadre du Ségur de la santé négocié avec le Ministère des solidarités et de la santé[33], et intégrée dans le Plan massif d’investissement en santé de 6 milliards d’euros de France Relance. L’objectif ? Accélérer la transformation d’un secteur bouleversé par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Ainsi, selon l’Institut Montaigne, le potentiel du marché de l’e-santé en France s’élèverait à 22 milliards d’euros. Pour y arriver, deux transformations majeures seront nécessaires : un accès simplifié aux données de santé et la structuration de la filière du numérique en santé[34].

 

Là encore, la crise sanitaire a généralisé des pratiques jusqu’à présent restreintes, notamment pour des considérations juridiques ou techniques. Il en va ainsi par exemple des téléconsultations médicales, qui peinaient à sortir de la phase d’expérimentation, pourtant ouverte dès 2014[35]. Leurs conditions de réalisation ont été assouplies dès le début du confinement[36], conduisant ainsi à une explosion du nombre des téléconsultations (de l’ordre de 10 à 15 fois plus)[37]. Même si le nombre de téléconsultations a diminué à l’issue du confinement, la prise en charge par la Sécurité sociale d’un certain nombre de situations a été pérennisée notamment par l’arrêté du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé[38] (cf le tableau récapitulatif des mesures de prise en charge de la télésanté).

 

La nécessité de protéger la sécurité des citadins et de leurs données personnelles

 

La Smart City doit faire face aux enjeux de sécurité suscités par les outils de digitalisation eux-mêmes, qu’ils touchent les données personnelles ou non personnelles. Ce défi de la cybersécurité est majeur, en particulier face aux ransomwares, capables de mettre rapidement de nombreux services à l’arrêt : des attaques ont ainsi été recensées à Sarrebourg, à Marseille et à Martigues ou encore Charleville-Mézières[39].

 

Notez qu’un certain nombre d’outils juridiques existent pour faire face à ces attaques, notamment la directive européenne dite « NIS » du 6 juillet 2016 transposée en droit français par un décret publié le 25 mai 2018 : ceci a permis de mettre en place, entre autres mesures, une liste d’opérateurs de services essentiels (OSE) dont l’interruption aurait un impact significatif sur le fonctionnement de l’économie ou de la société. Sur le terrain néanmoins, ces attaques continuent de se multiplier, laissant les organisations souvent démunies à défaut d’avoir mis en place en amont des programmes adéquats de prévention et de minimisation des risques.

 

Surtout, 2 ans après l’entrée en application obligatoire du Règlement général européen 2016/679 du 27 avril 2016 sur la protection des données, la protection des données personnelles est plus que jamais au centre des préoccupations. Si les mesures de restrictions de circulation adoptées pendant l’état d’urgence ont été relativement bien acceptées par les citoyens, ces derniers se sont en revanche beaucoup inquiétés des projets numériques destinées à lutter contre l’épidémie de Covid-19 : applications de signalement des cas de Covid-19, systèmes de caméras thermiques, etc.

 

Cette crainte s’est notamment illustrée à travers l’échec de la smart city Google de Toronto[40]. Selon Les Echos, «la lutte contre la pandémie, lorsqu’elle fait appel aux technologies digitales de traçage et de fichage, engendre enfin des débats polémiques dans les démocraties occidentales ». Les projets de ville intelligente, qui reposent sur le partage des données, doivent ainsi respecter par défaut et dès l’origine la règlementation sur la protection des données personnelles[41].

 

La question du traitement des données personnelles, notamment les données de mobilités et de santé apparaît dès lors cruciale[42]. Les récentes décisions des juridictions administratives et de la CNIL en la matière en ont témoigné. Le Conseil d’Etat a ainsi enjoint à une commune de mettre fin à l’usage de caméras thermiques dans les écoles, en l’absence de démonstration du consentement des familles à ce traitement de leurs données personnelles[43]. La CNIL, quant à elle, a mis en demeure le Ministère des solidarités et de la santé, dans un délai d’un mois, de rectifier l’application Stopcovid du fait d’un certain nombre de manquements à la réglementation sur les données personnelles (en particulier concernant l’analyse d’impact, le recours au re-captcha Google, et l’information fournie au public et dans les contrats de sous-traitance)[44].

 

Dans le même temps, la possibilité d’utiliser des données de santé pour soutenir la recherche et l’innovation dans la lutte contre la pandémie, devrait représenter un atout essentiel. A cet égard, la plateforme des données de santé dite « Health Data Hub », dont l’objectif est de moderniser l’exploitation à des fins de recherche et d’innovation des données de santé, considérées comme un patrimoine commun lorsqu’elles ont été financées par la solidarité nationale, devrait pouvoir jouer pleinement son rôle.

 

La crise du Covid-19 a accéléré certaines évolutions déjà en germe et en a provoqué de nouvelles, avec lesquelles les pouvoirs publics doivent désormais compter. Une des questions clés de cette période de crise est de savoir comment ces derniers vont réussir à définir, sous le contrôle du juge et des autorités administratives indépendantes, des règles stables, conciliant des attentes parfois contradictoires, entre sécurité sanitaire, protection de l’environnement et respect des données personnelles. Le défi s’annonce de taille, notamment pour les communautés de communes, qui ont jusqu’au 31 mars 2021[45] pour décider si elles prennent la « compétence mobilité » ou si elles laissent à la région le soin d’exercer cette compétence sur leur territoire.

 

Pour les acteurs du secteur privé, leurs défis seront d’importance également : adapter leurs offres et en créer de nouvelles, pour répondre à ces mêmes attentes du public, en accompagnant la transformation de la société vers des mobilités décloisonnées et respectueuses des individus et de l’environnement, dans des villes où la santé et la sécurité sont devenues des sujets centraux ; il s’agira aussi de résister à la crise économique que la crise sanitaire a engendrée. Cela pourra notamment passer par une évolution vers de nouveaux schémas partenariaux dans une recherche de complémentarité d’expertises. Les acteurs privés devront également digitaliser davantage leurs pratiques et valoriser à meilleur escient leurs actifs immatériels, sur un marché où la donnée est devenue un atout incontournable.

 

Recommandations juridiques pratiques pour les porteurs de projets liés à la Smart Safe & Healthy City :

 

  • Faire de la protection des données personnelles un atout :

Il s’agira d’intégrer dès la phase amont du projet et tout au long de son évolution, la nécessaire protection des données personnelles, en particulier s’il s’agit de données de santé, qui sont particulièrement sensibles et bénéficient d’un statut dérogatoire spécifique dans le RGPD et la Loi Informatique et Libertés. Les référentiels, méthodologies et autres publications de la CNIL sont particulièrement utiles à ce titre.

 

La présentation d’une Analyse d’impact (Privacy Impact Assessement ou PIA) à des clients ou des investisseurs est un outil de conviction de plus en plus puissant, même lorsque ce PIA n’est pas obligatoire.

 

Dans un cadre international, il faudra veiller à l’impact immédiat et à terme de la décision Schrems II du 16 juillet 2020 de la CJUE ayant invalidé le Privacy Shield, et qui permettait auparavant des exportations dérogatoires de données vers les Etats-Unis ; au-delà de ce seul pays, cette décision majeure impactera l’ensemble des outils de transferts internationaux de l’Union européenne.

  • Se doter d’outils d’IT efficaces pour se conformer à la réglementation et penser à la certification et à l’adoption de normes (voir notamment les nouveaux schémas de certification de conformité au RGPD comme Europrivacy[46]).

  • Mettre en place un plan de prévention et de maitrise de risques en matière de sécurité des données, y compris de cybersécurité :

Il s’agit d’un travail pluridisciplinaire à mener au sein des organisations, en coordination avec les compagnies d’assurance, voire les forces de l’ordre.

Il s’agit également de sensibiliser les citoyens utilisateurs aux réflexes à acquérir pour préserver leur vie privée.

  • Saisir l’opportunité de l’open data, et notamment de l’ouverture des bases de données de mobilité offerte par la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) ou de santé au travers du Health Data Hub pour les projets de R&D.

  • Identifier, protéger et valoriser ses actifs immatériels :

Entre autres outils, la création de bases de données, notamment de mobilité ou de santé, peut être protégée en tant que telle par le droit de la propriété intellectuelle.

  • Etablir une gouvernance simple et efficace dans la gestion des projets partenariaux autour de la Smart & Healthy City, sachant que ces projets sont amenés à se multiplier compte tenu des spécificités.

  • Penser l’intelligence artificielle et plus globalement le numérique en mode projet, en associant tous les acteurs de la chaine pour concevoir, maintenir, faire évoluer et assurer les outils et services. Le but est à la fois de répondre aux attentes du marché et des citoyens et de minimiser les risques des opérateurs et valoriser leurs activités.

 

  • Intégrer le plus en amont possible le respect des réglementations de métiers liées aux projets, y compris notamment : transport, énergie, environnement, télémédecine, droit de la consommation, droit des plateformes numériques.

 

 

 

 

 

 

[1] Voir en ce sens le titre Ier de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités dite loi « LOM ».

[2] Agence de financement des infrastructures de transport de France, dont les ressources ont aussi été augmentées par la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 (art. 71, 72 et 81). Cf également la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020 ouvrant un crédit de paiement de 250 M€ sur le programme « Infrastructures et services de transports » de l’AFITF pour faire face à la baisse de recettes.

[3] https://www.paris.fr/pages/comment-se-deplace-t-on-a-paris-5409#les-transports-en-commun.

[4] Due à un effet ciseaux lié à la baisse des recettes d’une part (billetterie et versement mobilité) et à une augmentation des coûts liés aux mesures sanitaires, d’autre part (désinfection, continuité du service public en dépit d’une fréquentation limitée).

[5] Dans le cadre de la loi de finances rectificative 2020 (article 21-VII de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020).

[6] Cf l’exemple récent de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

[7] 720.000 véhicules neufs et d’occasion auraient été ainsi vendus en juin 2020 en France, en hausse de 27% par rapport à 2019 (source : Le Monde). Le plan de soutien à l’automobile pour une industrie verte et compétitive annoncé par le Président de la République le 26 mai dernier contient diverses mesures en faveur de l’électrique qui auront des impacts localement : déploiement des points de recharge sur le territoire (objectif de 100 000 points de recharge initialement fixé pour 2022 mais ramené à 2021, objectif de 50% de véhicules électriques dans la commande publique, études sur la création d’un fonds national de mutualisation des investissements dans l’infrastructure électrique des copropriétés pour équiper les copropriétés en installations de recharge pour véhicules électriques, etc).

[8]http://www.presseagence.fr/lettre-economique-politique-paca/2020/06/10/paris-quelles-tendances-dutilisation-de-la-voiture-dans-les-agglomerations-francaises-depuis-le-11-mai/.

[9] Comme « l’ensemble des modes de déplacement pour lesquels la force motrice humaine est nécessaire, avec ou sans assistance motorisée » (article L. 1271-1 du Code des Transports créé par l’article 53 de la LOM).

[10] L’article R. 311-1 du Code de la route les définissant comme les « […] véhicule sans place assise, conçu et construit pour le déplacement d’une seule personne et dépourvu de tout aménagement destiné au transport de marchandises, équipé d’un moteur non thermique ou d’une assistance non thermique et dont la vitesse maximale par construction est supérieure à 6 km/h et ne dépasse pas 25 km/h.[…]»

[11] Décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel.

[12] Article 60 de la LOM.

[13] Article L1212-3-4 du Code des transports créé par l’article 60 de la LOM.

[14] Article L. 154-1 du Code de la voirie routière créé par l’article 60 de la LOM.

[15] Article L. 228-2 du Code de l’environnement.

[16] Cf Titre VII du Code des transports créé par la LOM. Au titre de ces mesures figurent notamment la création de stationnements sécurisés des vélos dans les pôles d’échange multimodaux et les gares, des places destinées aux vélos dans les trains et les autocars.

[17] Avec la création d’un fichier national et le marquage obligatoire des vélos neufs en 2021.

[18] En imposant son apprentissage à l’école primaire et en opérant un bouleversement sémantique pour inscrire les vélos (électriques ou non) dans les mobilités actives.

[19] https://www.fub.fr/fub/actualites/plan-gouvernemental-20-millions-euros-encourager-pratique-velo-deconfinement.

[20] https://www.coupdepoucevelo.fr/auth/home.

[21] Décret n° 2020-541 du 9 mai 2020 relatif au « forfait mobilités durables » et décret n° 2020-543 du 9 mai 2020 relatif au versement du « forfait mobilités durables » dans la fonction publique de l’Etat.

[22] En dépit du plan de soutien des collectivités territoriales annoncés le 29 mai 2020 par Edouard Philippe et décliné dans les articles 5 à 7 de la petite loi du projet de loi de finances rectificative pour 2020.

[23] Article L. 1231-17 du Code des transports.

[24] La Ville de Paris ayant annoncé le 23 juillet dernier que les trois opérateurs retenus étaient les sociétés Lime, Dott et Tier. La Ville de Lyon, quant à elle, a annoncé le 4 août avoir désigné Dott et Tier comme lauréats.

[25] Cf CE, 25 mai 2018, Commune de Saint-Thibault-des-Vignes, req. n° 416825.

[26] Source : ONISR

[27] A titre d’exemple https://www.eco-public.com/ParcPublic/?id=4586

[28] Source Insee

[29] Chiffres Coronapistes département Val-de-Marne

[30] Données Métropole de Lyon

[31] Recommandation CEREMA : Aménagements Cyclables Provisoires : Tester pour aménagement durablement

[32] Article 11 du projet de loi bioéthique, adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 31 juillet 2020 : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/bioethique_2

[33] https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/segur-de-la-sante-les-conclusions/

https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_de_presse_-_conclusions_segur_de_la_sante.pdf.

[34] https://www.institutmontaigne.org/publications/e-sante-augmentons-la-dose.

[35] Article 36 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014.

[36] Décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 adaptant les conditions du bénéfice des prestations en espèces d’assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au covid-19 et décret n° 2020-277 du 19 mars 2020 modifiant le décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus.

[37]https://www.ticsante.com/story/5249/les-teleconsultations-10-a-15-fois-plus-nombreuses-pendant-le-confinement-(association-let).html.

[38] Arrêté du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé.

[39] https://www.zdnet.fr/actualites/marseille-martigues-charleville-mezieres-les-villes-francaises-sous-attaque-des-ransomwares-39900677.htm.

[40] https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-google-city-de-toronto-les-raisons-dun-echec-1203831.

[41] https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees.

[42] L’on rappellera que les traitements de données personnelles incluant des données de santé sont par principe interdits sauf à se loger dans l’une des exceptions prévues par le RGPD ou la Loi Informatique et Libertés n°78-17 modifiée du 6 janvier 1978 et lorsqu’ils sont permis, ils nécessitent toujours une double base légale : l’article 6 du RGPD, d’une part, et l’article 9 du RGPD (et l’article 44 de la Loi Informatique et Libertés en France), d’autre part.

[43] CE, 26 juin 2020, Ligue des droits de l’homme, req. n° 441065.

[44] Décision n° MED-2020-015 du 15 juillet 2020.

[45] L’échéance du 31 décembre 2020, initialement fixée par la LOM, a été repoussé au 31 mars 2021 par l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l’épidémie de covid-19.

[46] https://europrivacy.org/fr.

Pour aller plus loin