COVID-19 et sociétés : impact des mesures d’urgence sur les restructurations en cours

03/04/20
COVID-19 et sociétés : impact des mesures d’urgence sur les restructurations en cours

Dernière mise à jour le 5 mai 2020

 

Les opérations de restructuration de sociétés ouvrant un droit d’opposition aux créanciers (fusions, scissions, apports partiels d’actif, TUP, réductions de capital) sont directement impactées par les mesures de confinement imposées par le gouvernement français. La fermeture des bureaux des greffes des tribunaux de commerce empêche en effet, en pratique, l’exercice du droit d’opposition.

 

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 « relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire (…) » a pour effet de pallier cette impossibilité, mais pose un certain nombre de questions quant au calendrier des opérations en cours ou prévues au 1er semestre 2020. Elle a été précisée par une autre ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020.

 

L’ordonnance n° 2020-306 prévoit notamment que :

  • tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi (ce qui inclut donc l’exercice du droit d’opposition),
  • qui aurait dû être accompli entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit au plus tard le 24 juin 2020),

sera « réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois » (art. 2).

 

Ainsi, dans le cas d’une TUP pour laquelle le délai d’opposition de trente jours expirerait avant la fin du mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire, les créanciers bénéficieront d’un délai supplémentaire à compter de la cessation de cet état d’urgence pour faire opposition.

 

Une première question qui se pose, compte tenu de l’imprécision du texte, est de savoir si le délai ouvert à compter de la date de cessation de l’état d’urgence est un nouveau délai recommençant à courir à compter du 24 juin 2020 (ou toute autre date ultérieure en cas de prorogation de l’état d’urgence sanitaire), ou le délai restant à courir du délai initial.

 

La rédaction de l’ordonnance semble pencher pour la première interprétation, ce qui été confirmé par la circulaire de présentation du titre I de l’ordonnance émise par la Garde des Sceaux le 26 mars 2020. Si l’on reprend l’exemple de la TUP, en cas de cessation de l’état d’urgence sanitaire comme prévu le 24 mai 2020[1], les créanciers auront trente jours à compter du 24 juin 2020 pour faire opposition.

 

La seconde question qui se pose est plus épineuse. Elle concerne l’impact que la prorogation du délai d’opposition aura sur les opérations en cours, en particulier les TUP : on sait en effet que celles-ci prennent effet juridiquement à l’issue du délai d’opposition (art. 1844-5 du Code civil).

 

La prorogation de ce délai signifie-t-elle que les opérations de TUP en cours verront leur date d’effet repoussée dans les mêmes proportions, ce qui semble résulter mécaniquement de l’articulation des textes ? Telle n’est cependant pas l’interprétation qui semble adoptée par le législateur : ainsi, le rapport au Président de la République introduisant l’ordonnance du 15 avril 2020 précise que le mécanisme mis en place par l’ordonnance « ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir. Le mécanisme mis en œuvre par cet article permet simplement de considérer que l’acte ou la formalité réalisé jusqu’à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l’article 1er (état d’urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait. Il s’agit de permettre d’accomplir a posteriori (et comme si le délai avait été respecté) ce qu’il a été impossible de faire pendant la période d’urgence sanitaire augmentée un mois. » En d’autres termes, s’agissant des TUP ou des réductions de capital, l’ordonnance n’aurait pas d’impact sur la date d’effet (qui reste fixée à l’expiration du délai « normal » d’opposition). Cette interprétation est encore réaffirmée par une note de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) en date du 14 avril 2020, qui précise cependant qu’elle s’entend « sous réserve de l’appréciation des tribunaux » !

 

Telle n’est en tout cas pas la position des greffes des tribunaux de commerce, puisqu’une circulaire n°50G-2020 du 16 avril 2020 du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce considère que « le greffier ne peut procéder à la radiation de la société qu’à l’issue du délai de 30 jours suivant la fin de la période juridiquement protégée, fin du délai d’opposition des créanciers ». Certains greffes refusaient d’ailleurs déjà de procéder à la radiation de la société dissoute.

 

Il est donc souhaitable et urgent que les pouvoirs publics et les greffes s’accordent pour harmoniser leurs positions, compte tenu des conséquences importantes que la détermination de la date d’effet peut avoir sur ces opérations. Notamment, s’il devait être considéré que la date d’effet n’est pas modifiée, cela impliquerait que les créanciers faisant opposition postérieurement, et dont les oppositions seraient reconnues valables, deviendraient créanciers de la société absorbante, conséquence pas nécessairement souhaitée lors du lancement de l’opération.

 

Concernant les fusions, scissions et apports partiels d’actif, la date d’effet de ces opérations est fixée par l’assemblée générale extraordinaire et non par la loi, et n’est pas conditionnée par l’expiration du délai d’opposition des créanciers. Elle est d’ailleurs le plus souvent rétroactive. Il n’en reste pas moins que la pratique habituelle est de conditionner la réalisation de ces opérations à l’absence d’opposition, et que la prorogation du délai d’opposition par l’ordonnance pourra avoir des conséquences sur le calendrier.

 

Indépendamment des dispositions de l’ordonnance, le confinement a d’autres conséquences juridiques sur les opérations nécessitant un enregistrement des actes (par exemple, les réductions de capital). Les bureaux de l’enregistrement sont en effet fermés, et les aléas de la distribution du courrier rendent périlleux l’envoi postal des originaux à l’administration. Les bureaux de l’enregistrement ont cependant mis en œuvre un processus d’enregistrement par courrier électronique.

 

 

 

 

[1] A la date de rédaction du présent article, un projet de loi visant à étendre cette date au 24 juillet 2020 est en cours de discussion au Parlement.

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