COVID-19 et obligations des locataires professionnels et commerciaux

31/03/20
COVID-19 et obligations des locataires professionnels et commerciaux

L’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 et c’est tout ?

Les mesures de suspension de loyers annoncées le 16 mars dernier par le Président de la République dans le cadre de la situation exceptionnelle liée à l’épidémie de coronavirus sont désormais reflétées dans l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.

 

Cette ordonnance a notamment pour objectif d’encadrer la relation contractuelle entre les bailleurs et les locataires de baux professionnels et commerciaux dans l’hypothèse d’éventuels problèmes de trésorerie rencontrés par les locataires lors de cette crise sanitaire.

 

Selon l’article 4 de l’ordonnance susvisée, sous réserve de certaines conditions détaillées ci-après, les locataires « ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux » et ce, nonobstant toute stipulation contractuelle ou légale.

 

Les locataires éligibles à ce dispositif sont les suivants :

  • Les entreprises susceptibles de bénéficier du Fonds de Solidarité (visé à l’article 1er de l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020) c’est-à-dire les entreprises exerçant une «activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ».
  • Les seuils seront précisés par un décret d’application mais d’ores et déjà Bercy a communiqué le 25 mars 2020 qu’étaient concernés par l’aide financière
    • les très petites entreprises, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales ayant un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60000 euros;
    • ayant fait l’objet d’une fermeture administrative, ou, ayant subi une perte de 70% de CA en mars 2020 par rapport à mars 2019.
  • Les entreprises « qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire » sous réserve de la communication d’une attestation réalisée par un mandataire de justice.

 

Seuls les locataires susmentionnés pourront bénéficier d’un report de leurs loyers et charges locatives pour des échéances postérieures au 12 mars 2020, et ce, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. En d’autres termes, tous les loyers et charges exigibles à compter du 1er avril 2020 ne seront pas recouvrables par le bailleur sous réserve des conditions ci-avant énoncées. Ce dernier devra attendre deux mois à compter de la déclaration de cessation de l’état d’urgence sanitaire pour solliciter les échéances passées qui resteront dues.

 

Pas d’exonération donc mais seulement une suspension des paiements des loyers et charges locatives lesquels devront être réglés à l’issue de la période de suspension.

 

Du reste, il convient de rappeler que le locataire demeure gardien de la chose. Dès lors il convient notamment de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les locaux ne se dégradent pas et à ce que le preneur maintienne les couvertures d’assurance durant la crise actuelle.

 

Quid des autres locataires ne remplissant pas les conditions d’éligibilité susvisées ?

 

Pour ces derniers, les outils de droit commun demeurent (et en particulier l’imprévision et la force majeure).

 

Mais est-ce bien tout ?

 

Dès lors qu’ils sont exclus du régime spécifique précité, il nous semble qu’ils devraient pouvoir bénéficier de celui plus général de l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 laquelle dispose en son article 4 que :

 

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. [à savoir, « délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée ».]

 

Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.

 

Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er. »

 

La circulaire du 26 mars 2020 de présentation des dispositions du titre I de cette ordonnance précise que :

 

« L’article 4 vise à tenir compte des difficultés d’exécution résultant de l’état d’urgence sanitaire en paralysant, durant cette période, les astreintes prononcées par les juridictions ou les autorités administratives ainsi que les clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur. »

 

Exemple donnée par la circulaire :

« Un contrat doit être exécuté le 20 mars, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue. ⇒ Dès lors que l’exécution devait intervenir durant la période juridiquement protégée prévue à l’article 1er de l’ordonnance, la clause résolutoire ne produira pas son effet. Elle le produira en revanche si le débiteur n’a toujours pas exécuté son obligation dans le mois qui suit la fin de la période juridiquement protégée prévue à l’article 1er de l’ordonnance, soit dans les deux mois suivant la cessation de l’état d’urgence »

 

En définitive, tout locataire professionnel ou commercial, qu’il entre ou non dans le champ de l’Ordonnance n°2020-316, aura intérêt à se rapprocher de son bailleur afin que les conditions de paiement des loyers et charges, le cas échéant suspendus, soit organisées au mieux.

 

Des formules existent, et d’autres sont à réinventer :

  • La mensualisation des loyers et charges à venir ;
  • L’étalement de la dette locative à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire ;
  • L’amélioration du partage d’informations ;
  • La compensation via la prise en charge par le preneur de nouvelles obligations sur le plus long terme (par exemple un renforcement des obligations contractuelles du locataire à l’occasion de la restitution des locaux ; un allongement de la durée de son engagement,…).

 

Il en va de l’intérêt de tous, et les bailleurs sont déjà nombreux à ne pas s’y tromper.

 

Pour aller plus loin