Covid-19 et mesures de prorogation des délais : les baux commerciaux auraient-ils été oubliés ?

22/04/20
Covid-19 et mesures de prorogation des délais : les baux commerciaux auraient-ils été oubliés ?

 

Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020

Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020

Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020

Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020

Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020

Circulaire du 26 mars 2020 de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020

 

Au regard de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, soit jusqu’au 24 mai prochain en l’état, le gouvernement a entrepris de proroger certains délais échus pendant la période d’urgence sanitaire. La matière est à ce jour régie par les ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020 et n° 2020-427 du 15 avril 2020.

 

 

1- C’est ainsi notamment qu’aux termes de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 :

 

« Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période. »

 

Ce texte est-il applicable aux congés, aux demandes de renouvellement susceptibles d’être délivrés en matière de baux commerciaux et qui ont tous deux pour effet d’y mettre fin (art. L. 145-9 du Code de commerce) ?

 

Avant d’apporter quelques éléments de réponse, il est nécessaire de préciser le champ d’application rationae temporis, rationae loci ainsi que les effets de cette disposition.

  • Sur le champ d’application ratione temporis : sont concernés les périodes ou délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire soit en l’état le 24 juin 2020 (la « période protégée »).
  • Sur le champ d’application ratione loci : outre la France métropolitaine, cette disposition est applicable dans les îles de Wallis et Futuna. Celle-ci n’est en revanche pas applicable en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
  • Sur les effets : cette disposition prévoit une prolongation des périodes ou délais applicables pour résilier ou dénoncer la convention, qui, auraient expirés au cours de la « période protégée » d’une durée de deux mois après l’expiration de la « période protégée », soit en l’état jusqu’au 24 août 2020.

S’agissant plus précisément de la question qui nous occupe, laquelle relève du champ d’application ratione materiae de la mesure, cette dernière est applicable aux conventions qui :

  • ou bien ne peuvent être résiliées que durant une période déterminée ;
  • ou bien sont renouvelées en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé.

 

1-1 Remarquons d’emblée que les baux commerciaux ne semblent pas relever, sauf aménagements contractuels spécifiques (notamment promesse de renouvellement aux mêmes clauses et conditions consentie par le bailleur), de la catégorie des « conventions (…) renouvelées en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé».

En effet, à défaut de congé ou de demande de renouvellement délivré au terme du bail fait par écrit, ce dernier n’est, sauf clause contraire, pas renouvelé, mais tacitement prolongé (art. L. 145-9 du Code de commerce). En d’autres termes, il est de principe que le bail commercial se poursuive après son terme pour une durée indéterminée, chacune des parties ayant la faculté, au cours de sa tacite prolongation, de délivrer congé à tout moment.

 

 

1-2 La question peut en revanche se poser de savoir si les baux commerciaux sont susceptibles de relever de la catégorie des conventions qui « ne peuvent être résiliées que durant une période déterminée », au regard notamment des délais applicables aux congés et aux demandes de renouvellement.

Rappelons brièvement ce qu’il en est pour l’essentiel et sous réserve de certains aménagements contractuels (allongement de la durée du préavis pour délivrer congé par exemple) :

  • S’agissant des congés délivrés en vue du terme du bail par le bailleur ou le preneur : à tout moment sauf abus, au moins 6 mois avant le terme. En cas de tardiveté, le congé n’est pas nul mais produira effet au cours de la période de tacite prolongation, au moins six mois après et pour le dernier jour du trimestre civil (art. L. 145-9 C.com.).
  • S’agissant des congés délivrés en cours de tacite prolongation par le bailleur ou le preneur : à tout moment, au moins six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil (art. L. 145-9 C. com.).
  • S’agissant du congé susceptible d’être délivré par le preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou ayant été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social : à tout moment, au moins 6 mois avant sa date de départ (art. L. 145-4 C. com.).
  • S’agissant des congés délivrés à l’échéance d’une période triennale par le bailleur ou le preneur : à tout moment sauf abus, au moins six mois avant l’échéance de la période triennale concernée (art. L. 145-4 C. com.). En cas de tardiveté, le congé n’est pas nul mais produira effet à l’échéance de la période triennale suivante ou à la prochaine échéance utile (Cass., 3ème, 7 juillet 1975 – 10 février 2015 – 16 décembre 2014).
  • S’agissant de la demande de renouvellement délivrée en vue du terme du bail par le preneur : dans les 6 mois précédant le terme (art. L. 145-10 C. com.).
  • S’agissant de la demande de renouvellement délivrée en cours de tacite prolongation par le preneur : à tout moment à effet au premier jour du trimestre civil suivant la demande (art. L. 145-10 et L. 145-12 C. com.).

Certains de ces délais semblent assimilables à des préavis (congé fin de bail à délivrer au moins 6 mois avant le terme par exemple). D’autres paraissent encadrer les périodes au cours desquelles les facultés de mettre fin au bail peuvent être exercées, lesquelles peuvent sembler, tantôt largement définies (facultés de mettre fin au bail à tout moment pour les congés ou les demandes de renouvellement en cours de tacite prolongation), tantôt plus limitées (faculté de demander le renouvellement du bail en vue de son terme possible uniquement dans les 6 derniers mois le précédant).

 

Or, l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 est applicable « lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ». Au sens strict des termes, ce texte fait référence à la seule faculté de résilier une convention limitée à une période déterminée et non aux délais de préavis susceptibles de l’assortir.

 

Un exemple d’application de cette disposition, fourni aux termes de la circulaire du 26 mars 2020 de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, peut par ailleurs être éclairant :

 

« Un contrat d’assurance a été souscrit. En cas de survenance de certains événements, l’article L. 113-16 du code des assurances permet à chacune des parties de résilier le contrat dans les trois mois qui suivent la date de l’événement. Si celui-ci s’est produit le 20 décembre 2020, le délai pour résilier expire le 20 mars soit durant la période juridiquement protégée prévue à l’article 1er de l’ordonnance.

Par conséquent, chaque partie pourra encore résilier le contrat dans les deux mois qui suivent la fin de cette période, soit dans les trois mois qui suivent la cessation de l’état d’urgence. »

 

Cet exemple concerne bien un cas dans lequel la convention n’est pas renouvelée à défaut de résiliation et dans lequel c’est la faculté même de résiliation qui est limitée dans le temps, indépendamment de tout préavis. Cet exemple illustre qu’entrent dans le champ d’application de la mesure les conventions pour lesquelles la faculté d’y mettre fin est limitée dans le temps.

 

Peut-on alors considérer que les facultés de délivrer un congé ou une demande de renouvellement constituent des facultés de ne mettre fin au bail commercial « que durant une période déterminée » ?

 

Cela semble a priori difficile dans la plupart des cas en ce qui concerne le congé en fin de bail, le congé en vue de bénéficier des droits à la retraite ainsi que la demande de renouvellement. En effet, puisque le bail écrit arrivé à terme est, sauf stipulation contraire, tacitement prolongé pour une durée indéterminée, et qu’en cours de tacite prolongation, le congé comme la demande de renouvellement peuvent être délivrés à tout moment, il semblerait que la période au cours de laquelle ceux-ci sont susceptibles d’être délivrés puisse être « indéterminée » :

  • s’agissant du congé, cette période pourrait s’étendre sur une durée indéterminée au-delà du terme du bail ;
  • s’agissant de la demande de renouvellement, cette période pourrait s’étendre sur une durée indéterminée au-delà des six derniers mois du bail.

Il pourrait en revanche être considéré que le congé délivré en fin de période triennale ne serait susceptible de l’être que durant une période déterminée correspondant à la durée de la période triennale amputée de 6 mois et 1 jour. Cependant, il semble que ce ne soit pas tant la faculté de délivrer congé mais celle plus générale de résilier la convention qui doive n’être susceptible de s’exercer que « durant une période considérée ». Il pourrait notamment être soutenu que le congé tardif en vue de mettre fin au bail à l’issue d’une période triennale produira en tout état de cause effet lors de la suivante, de sorte qu’il serait hâtif de considérer que le bail ne pourrait être résilié qu’« au cours de la période considérée ».

 

Si tel devait être le cas, la différence de traitement avec le bail d’habitation d’une durée de trois ans qui, à défaut de congé, se trouverait tacitement renouvelé pour une même durée mais qui pourrait en revanche bénéficier de l’article 5 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 du fait de son renouvellement tacite dans un tel cas, risque d’être mal vécue en pratique.

 

 

2- Pourrait-on alors considérer que le bail commercial serait susceptible de relever du champ d’application de l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par celle n°2020-427 du 15 avril 2020 aux termes duquel :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. »

 

Aux termes du rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 :

 

« L’article 2 vise à préciser le sens et la portée de l’article 2 de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020. L’article 2 de cette ordonnance ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir. Le mécanisme mis en œuvre par cet article permet simplement de considérer que l’acte ou la formalité réalisé jusqu’à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l’article 1er (état d’urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait. Il s’agit de permettre d’accomplir a posteriori (et comme si le délai avait été respecté) ce qu’il a été impossible de faire pendant la période d’urgence sanitaire augmentée un mois. Ce mécanisme ne peut fonctionner que si le délai pour agir est « prescrit » par la loi ou le règlement, « à peine » d’une sanction ou de la déchéance d’un droit. »

 

Or, le congé tardif n’est nullement sanctionné en matière de bail commercial. Par ailleurs, la résiliation du bail s’en trouvant seulement retardée, il peut sembler difficile de concevoir qu’il y aurait de ce fait une déchéance de la faculté de résilier unilatéralement le contrat. Il pourrait être considéré qu’il en est de même en ce qui concerne la demande de renouvellement qui, à la supposer tardive par rapport au terme du bail, verra seulement ses effets différés.

 

Il y aurait cependant un cas dans lequel il pourrait être admis que la demande de renouvellement ou le congé retardé emporterait « déchéance d’un droit » pour l’une ou l’autre des parties. Ce serait celui d’un bail d’une durée contractuelle de 9 ans régi par les articles L. 145-33 et L. 145-34 du Code de commerce en l’absence de clause contraire, qui par l’effet d’une tacite prolongation, approcherait d’une durée effective de 12 ans. En effet, le loyer d’un tel bail renouvelé est soumis au principe du plafonnement en fonction de la variation indiciaire, sous réserve que sa durée effective ne dépasse pas 12 ans, puisqu’alors, le loyer du bail renouvelé serait, par l’effet de la loi, fixé à la valeur locative (art. L. 145-34 C. com.). Selon que cette valeur locative serait supérieure ou inférieure au montant du loyer plafonné, l’une ou l’autre des parties qui ne résilierait pas le bail avant que celui-ci ne dépasse une durée effective de 12 ans se verrait déchue de la faculté de se prévaloir du principe du plafonnement du loyer du bail renouvelé.

 

Il reste toutefois à déterminer si une telle faculté serait susceptible d’être considérée comme un « droit » au sens de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

 

 

En définitive, il semblerait que le bail commercial ait, à de rares exceptions près qui demeurent en tout état de cause à clarifier, globalement fait partie des oubliés des mesures prises par le gouvernement aux termes des ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020 et n° 2020-427 du 15 avril 2020. On ne peut que le regretter au vu des délais postaux allongés ainsi que des significations d’actes extrajudiciaires rendues plus difficiles. C’est pourquoi, il ne peut qu’être recommandé à toute personne souhaitant délivrer un congé ou une demande de renouvellement au cours de la période d’urgence sanitaire, d’anticiper cette démarche le plus possible et de ne nullement compter sur le bénéfice des mesures de prorogation de délais, en l’état de leur rédaction actuelle.

 

 

Pour aller plus loin