Jusqu’au 1er avril 2020, les tribunaux français étaient seuls compétents pour se prononcer en matière de déchéance et de nullité de marques françaises. La transposition en droit français du « Paquet Marques » a été l’occasion de confier à l’INPI une compétence concurrente à celle des juridictions en la matière. L’objectif annoncé était double : déjudiciariser une partie du contentieux de la nullité et de la déchéance tout en préservant l’unicité des litiges[1].
Désormais, l’INPI est seul compétent pour statuer sur ces demandes formées à titre principal lorsqu’elles sont exclusivement fondées sur (art. L. 716-5 I. du code de la propriété intellectuelle) :
Les tribunaux judiciaires demeurent quant à eux exclusivement compétents pour statuer sur (art. L. 716-5 II. du code de la propriété intellectuelle) :
Les demandes formées en violation de ces règles de répartition sont déclarées irrecevables, que ce soit devant l’INPI (art. R. 716-5 du code de la propriété intellectuelle) ou devant une juridiction (art. R. 716-13 du code de la propriété intellectuelle).
Si la réforme avait pour ambition d’établir un partage de compétences clair entre l’INPI et les juridictions s’agissant des demandes en nullité ou en déchéance des marques, la clé de répartition envisagée a toutefois soulevé quelques problématiques que la jurisprudence s’emploie à résoudre.
La notion de connexité à toute demande relevant de la compétence du tribunal est déterminante, dans la mesure où elle emporte transfert au seul tribunal judiciaire de l’examen de demandes en déchéance ou en nullité qui relèveraient autrement de la compétence exclusive et spéciale de l’INPI. Ainsi, l’INPI s’est appuyé sur cette notion pour définir sa compétence en creux, considérant être compétent pour statuer sur la demande en nullité ou en déchéance d’une marque, « sauf lorsqu’une telle demande est connexe à toute autre action relevant de la compétence du tribunal »[2].
Pour importante qu’elle apparaisse, la connexité n’est toutefois pas définie par les textes. Pour pallier cela, l’INPI se réfère avec constance à une définition doctrinale et estime être en présence de connexité « lorsque plusieurs demandes non identiques sont unies par des liens suffisamment étroits pour justifier qu’elles soient traitées ensemble »[3]. Un arrêt récent de la cour d’appel de Paris a défini la notion à la lumière de l’article 101 du code de procédure civile en considérant qu’il y a « connexité quand deux affaires présentent un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de les faire instruire et juger ensemble »[4].
Se prononcer sur la connexité de demandes formulées devant l’INPI et une juridiction judiciaire implique évidemment que des demandes aient été formées tant devant l’un que devant l’autre. La connexité n’implique cependant pas l’identité desdites demandes. A ce titre, l’INPI a rappelé qu’une demande en déchéance formée devant l’Institut était irrecevable dès lors qu’elle portait sur les produits invoqués par ailleurs à l’appui d’une action judiciaire en contrefaçon et en concurrence déloyale – et cela même si aucune demande reconventionnelle en déchéance n’avait été présentée devant le tribunal judiciaire au jour de la demande présentée devant l’INPI[5]. A cette occasion, l’INPI a refusé de se considérer comme partiellement compétent pour se prononcer sur des demandes formées au regard des seuls services de la marque non invoqués à l’appui de l’action initiée devant le tribunal, et cela afin de privilégier l’unité du litige.
Sous l’angle chronologique, il convient de relever que la demande en nullité ou en déchéance formée devant le tribunal judiciaire postérieurement à la demande régulièrement formée devant l’INPI n’entraine pas l’incompétence de l’Institut, y compris lorsqu’elle apparait connexe à la demande qui lui est adressée[6]. Cette approche semble partagée par la cour d’appel de Paris qui a validé le raisonnement selon lequel l’INPI était seul compétent pour statuer sur la demande de déchéance de marque antérieure à une demande reconventionnelle de nullité (vraisemblablement connexe) dont le juge du fond était saisi[7].
En bref : si la demande relève de la compétence exclusive de l’INPI, le transfert de compétence au bénéfice du tribunal judiciaire n’interviendra qu’à condition que la demande connexe formée devant le tribunal soit antérieure à la saisine de l’Institut ; à défaut, le tribunal judiciaire pourra surseoir à statuer dans l’attente de la décision de l’INPI (art. R. 716-14 du code de la propriété intellectuelle).
Cette approche chronologique rappelle celle qui prévaut en présence de marques de l’Union européenne : l’EUIPO est compétent pour statuer sur les demandes en nullité ou en déchéance d’une marque de l’Union européenne, sauf si celles-ci sont présentées à titre reconventionnel comme moyen de défense dans le cadre d’une action en contrefaçon (art. 124 du Règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne ou « RMUE »)[8]. En France, le tribunal judiciaire de Paris a compétence exclusive pour étudier ces demandes reconventionnelles en sa qualité de tribunal des marques de l’Union européenne. Si toutefois une demande en déchéance ou en nullité de la marque de l’Union européenne a déjà été introduite auprès de l’EUIPO avant ladite demande reconventionnelle, le tribunal sursoit à statuer jusqu’à ce que la décision concernant cette demande soit définitive ou que la demande soit retirée (art. 128 du RMUE)[9].
En matière de marque de l’Union européenne, la répartition des compétences est toutefois plus simple dans la mesure où tant le tribunal judiciaire de Paris que l’EUIPO sont matériellement habilités à se prononcer sur les demandes en nullité qui se fondent sur des droits antérieurs très divers (tels qu’une atteinte à un droit d’auteur[10], un dessin ou modèle ou un droit de la personnalité[11]) – là où l’INPI ne bénéficie pas d’une compétence aussi large lorsqu’il s’agit d’apprécier la nullité d’une marque française fondée sur un motif relatif.
Afin d’opérer le transfert de compétence de l’INPI au tribunal judiciaire, la demande en nullité ou en déchéance doit être connexe à « toute autre demande relevant de la compétence [dudit] tribunal ».
Sans surprise, l’INPI considère qu’une demande relevant de la compétence d’un tribunal s’entend d’une demande formée auprès d’une instance saisie et par laquelle le requérant fait valoir des prétentions contre une ou plusieurs personnes. A contrario, ne constituent pas une demande relevant de la compétence d’un tribunal une demande amiable préalable à une action judiciaire[12] ou encore de simples signalements réalisés auprès d’une plateforme de commerce électronique[13].
De même, la demande relative à la violation d’obligations contractuelles formées devant le tribunal de commerce, qui n’est pas compétent pour statuer sur la validité d’une marque et dont l’incompétence au profit du tribunal judiciaire n’a pas été soulevée, ne peuvent pas s’analyser comme une demande susceptible de tenir en échec la compétence exclusive de l’INPI[14].
Certaines décisions adoptent une approche particulièrement stricte du principe selon lequel l’INPI n’est compétent que s’agissant des demandes en nullité « exclusivement fondées » sur un ou plusieurs des motifs limitativement énumérés.
Ainsi, des décisions de l’INPI considèrent que le demandeur doit être débouté de sa demande en nullité si son argumentation contient un motif qui ne relève pas de la compétence de l’Institut. Cela a pu être le cas dans une affaire où le demandeur formulait non seulement une demande en nullité sur l’un des motifs relevant de la compétence de l’Institut, mais également une demande d’interdiction d’usage de la marque contestée : l’INPI a considéré que la demande en nullité était irrecevable dès lors qu’elle n’apparaissait pas « exclusivement fondée » sur l’un des motifs relevant de la compétence de l’Institut mais que cette demande était au contraire formée « de façon connexe à [d’autres demandes] relevant de la compétence du tribunal »[15]. Sous couvert d’une apparente sévérité, cette décision avait toutefois été précédée d’une notification d’irrecevabilité à la suite de laquelle le demandeur aurait pu régulariser la situation en renonçant expressément à toutes ses demandes ne relevant pas de la compétence exclusive de l’INPI.
D’autres décisions de l’INPI offrent davantage de flexibilité, l’Institut se contentant de déclarer irrecevables les demandes en nullité qui ne relèvent pas de sa compétence après avoir étudié par ailleurs les demandes pour lesquelles il estime être compétent[16]. Ces décisions semblent plus conciliables avec l’objectif d’épuration du registre national des marques poursuivi par la réforme, et évite que l’INPI soit saisi de demandes qui relèvent pourtant bien de sa compétence sans pouvoir se prononcer utilement sur celles-ci.
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