ASAP, Relance et Commande Publique

16/12/20
ASAP, Relance et Commande Publique

La loi ASAP (« Accélération et Simplification de l’Action Publique »), promulguée le 7 décembre 2020 après sa validation par le Conseil Constitutionnel[1], était initialement destinée à répondre à la demande du grand débat d’une proximité renforcée des services publics. Son contenu s’est ensuite diversifié lors des débats, notamment au gré d’amendements déposés par le gouvernement pour accompagner le plan de relance en matière de commande publique.

 

Ci-après le point sur les quelques évolutions en la matière.

 

Nouveau cas de recours à une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence

La mesure la plus notable et médiatisée porte sur l’introduction d’un nouveau cas de recours à un marché public de gré à gré, selon la procédure dite avec négociation sans publicité ni mise en concurrence préalable[2].

 

Le texte vise en effet à exonérer de publicité et de mise en concurrence préalables les marchés publics conclus « pour des motifs d’intérêt général », aux côtés des autres hypothèses dérogatoires déjà limitativement énumérées[3].

 

Mais que l’on ne s’y trompe pas : ce motif, largement formulé, ne pourra être utilisé de manière autonome. En effet, l’article L. 2122-1 du code de la commande publique modifié par les nouvelles dispositions ne fait qu’énumérer les domaines dans lesquels le pouvoir réglementaire pourra ensuite instaurer des dérogations[4]. C’est d’ailleurs ce que confirmait l’exposé sommaire de l’amendement à l’origine de cette modification, qui précisait qu’elle avait pour but de sécuriser les évolutions réglementaires qui pourraient intervenir pour simplifier la conclusion de certains marchés. Cette mention étant toutefois passée inaperçue aux yeux de nombreux commentateurs, la Direction des affaires juridiques de Bercy a jugé nécessaire d’en rappeler la portée[5]. Le conseil constitutionnel a quant à lui jugé que cette disposition n’était pas entachée d’incompétence négative pour avoir délégué au pouvoir réglementaire la définition de ces motifs d’intérêt général[6].

 

Les espoirs à l’égard de cette nouvelle mesure doivent donc être relativisés (de même que les critiques visant une rédaction trop large du texte…). A cette étape, il s’agit seulement de se doter des moyens juridiques pour que le gouvernement puisse définir ultérieurement définir de nouveaux cas de marchés publics conclus de gré à gré. Sont ainsi évoqués « les secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique », et la volonté de « faciliter la conclusion des marchés avec des PME qui n’ont souvent pas les moyens techniques et humains pour s’engager dans une mise en concurrence ». Les explications de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’occasion de l’examen du texte devant l’Assemblée Nationale, qui font référence à l’absence de débouchés de nombreuses marchandises « comme les pommes de terre, le chevreau et le canard » pendant le confinement, ne permettent guère d’éclairer la volonté du ce point…

 

 

Relèvement temporaire du seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour les travaux

La seconde mesure sur les dérogations à la publicité et la mise en concurrence a en revanche une portée bien plus claire : il s’agit de relever – jusqu’au 31 décembre 2022 – à un montant de 100.000€ HT le seuil en dessous duquel les marchés publics de travaux peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence[7].

 

 

Création d’un dispositif de circonstances exceptionnelles

Une autre série de mesures ne s’inscrit pas dans l’objectif de relance mais aménage un dispositif pour réagir plus rapidement et efficacement à des circonstances exceptionnelles telles que la crise sanitaire actuelle[8]. Il s’agit donc d’inscrire dans le code de la commande publique un dispositif pérenne – s’inspirant du dispositif de l’ordonnance du 25 mars 2020 en matière de commande publique adopté durant le premier confinement – pour aménager les procédures de consultation, la prolongation des contrats arrivant à échéance, les délais d’exécution des contrats et exclure l’application de pénalités en cas de difficultés d’exécution.

 

 

Faciliter l’accès des entreprises aux marchés publics

Une autre série de mesures vise à faciliter l’accès des entreprises à la commande publique en imposant tout d’abord aux titulaires de marchés globaux de réserver une part minimale de leur exécution aux PME et artisans. Dans ce même objectif, elles exonèrent ensuite les entreprises en difficulté faisant l’objet d’un plan de redressement de l’obligation de démontrer qu’elles ont été habilitées à poursuivre leur activité, et interdisent à l’acheteur de résilier un marché public au seul motif que son titulaire ferait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire.

 

 

Autres aménagements du droit de la commande publique

La loi ASAP prévoit enfin de multiples adaptations du code de la commande publique, notamment en étendant le régime d’exclusion des marchés de services juridiques[9]. Seront ainsi désormais exclus du champ du droit des marchés publics, les marchés de services ayant pour objet la représentation légale d’un client par un avocat et les prestations de conseil juridique s’y attachant.

 

Les parlementaires ont également entendu assouplir le dispositif de réservation des marchés publics en faveur des structures d’insertion de personnes handicapées ou défavorisées[10].

 

Par ailleurs, l’Etat peut désormais confier à un opérateur économique une mission globale portant sur La conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien des infrastructures linéaires de transport de l’État, hors bâtiments[11]. Le périmètre des marchés globaux pour la Société du Grand Paris est en outre élargi[12].

 

Enfin, dans le contexte actuel nécessitant souvent la modification de contrats en cours, une autre mesure vise à clarifier et sécuriser le régime juridique applicable aux avenants, en soumettant tous les marchés en cours et conclus avant le 1er avril 2016 aux règles de modification prévues par le Code de la commande publique[13].

 

Voici donc le droit de la commande publique doté de quelques outils supplémentaires – sous réserve de l’adoption de leurs mesures réglementaires d’application – pour réagir plus rapidement à la seconde crise sanitaire et contribuer à la relance économique.

 

 

[1] Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020.

[2] Dans le respect néanmoins des principes de la commande publique de l’article L. 3 du Code de la commande publique.

[3] A l’article L. 2122-1 du code de la commande publique qui permet le recours à une procédure sans publicité ni mise en concurrence préalables pour la conclusion d’un marché publics, compte tenu de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d’une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur. Ces propositions concernent également les marchés publics de défense ou de sécurité (même proposition de modification de l’article L. 2322-1 du Code de la commande publique).

[4] Ces cas dans lesquels la procédure avec négociation sans publicité ni mise en concurrence peut être utilisée sont listés aux articles R. 2122-1 à R. 2122-9 du Code de la commande publique.

[5] DAJ, Mesures « commande publique » du projet de loi ASAP adoptées en première lecture à l’Assemblée nationale, 13 octobre 2020, https://www.economie.gouv.fr/daj/mesures-commande-publique-du-projet-de-loi-asap-adoptees-en-premiere-lecture-lassemblee

[6] Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020.

[7] Article 142. Il en va de même des lots portant sur des travaux et d’un montant inférieur à 100.000€ HT, dès lors que leur montant cumulé n’excède pas 20% de la valeur totale estimée du marché. Pour mémoire, ce seuil avait déjà été augmenté de 40.000€ HT à 70.000€ HT par le décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020 et ce jusqu’au 10 juillet 2021. Le texte prévoit néanmoins que les acheteurs « veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».

[8] Article 132.

[9] Article 140.

[10] Article 141.

[11] Article 143.

[12] Article 144.

[13] Article 133.

Pour aller plus loin