La propriété de la donnée au cœur des débats

07/09/17

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Dans un précédent article, nous revenions sur la communication de la Commission européenne, en date du 10 janvier 2017, pour « la création d’une économie européenne fondée sur les données », et la consultation publique associée à cette initiative[1]. La Commission y faisait part de sa volonté d’intervenir sur différents sujets, tous liés à l’amélioration des flux de données au sein du territoire de l’Union européenne. L’objectif pour l’Europe : ne pas manquer le train de l’innovation, sans pour autant renier ses valeurs, et ériger la libre circulation des données au rang des libertés sur lesquelles repose le marché commun (libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes).Le sujet a été remis au cœur de l’actualité suite au lancement début juillet de la présidence estonienne du Conseil de l’UE, ainsi que l’entrée en fonction de la nouvelle commissaire au numérique, Mariya Gabriel (ex-eurodéputée bulgare affiliée au Parti populaire européen). En effet, ces derniers y voient une priorité pour l’Europe. Une conférence sur le sujet, organisée à Tallinn le 17 juillet dernier[2], fut d’ailleurs l’occasion pour la présidence estonienne d’annoncer son intention de poursuivre ses efforts pour créer un marché unique numérique dans l’UE, et d’insister sur la libre circulation des données entre les États membres, qu’elle considère comme une condition sine qua non pour y parvenir.

 

De son côté, la Commission européenne devrait émettre des propositions dans le cadre de son initiative « free flow of data » à l’automne prochain (ainsi qu’au printemps 2018 pour ce qui relève de l’ouverture des données publiques). Un projet de document a été révélé par le site Politico, dont les dispositions visent principalement à interdire aux Etats-membres d’imposer des restrictions injustifiées en matière de localisation des données, et à garantir et améliorer la portabilité des données.

 

Ainsi, aucune disposition ne vient à ce jour traiter directement de la question de la propriété de la donnée, qui reste néanmoins un point central des réflexions en cours et, sûrement, le plus complexe et sensible à appréhender. A l’heure où les données sont largement qualifiées d’or ou de pétrole du XXIe siècle, tout en s’en distinguant largement par leur caractère inépuisable, fantasmes et craintes ne doivent pas prendre le pas sur une approche prudente et rationnelle. La main du législateur doit, ici plus qu’ailleurs, rester légère et, surtout, habile.

 

La consécration d’un droit à la « propriété » des données divise. Si certains y voient une incitation au partage des données voire une juste rétribution pour son titulaire, d’autres lui préfèrent d’autres alternatives afin d’atteindre le même objectif (i.e. profiter des plus-values de l’analyse d’un large volume de données).

 

Sur ce point, on rappellera en premier lieu, que les données ne sont pas reconnues en l’état comme des choses pouvant faire l’objet d’une appropriation. Il n’y a pas de régime juridique général de la donnée défini en Europe (ou dans la loi française). En droit, la collecte des données n’emporte aucune consécration d’un droit de propriété ab initio : une donnée est une information qui est, par principe, de libre parcours. C’est d’ailleurs le fondement du droit de la propriété intellectuelle, nécessaire à la créativité et la diversité artistique. Ce que le droit permet, ce sont des stratégies d’appropriation sur les données par le biais de régime spécifiques (ex. secrets de fabrique, droits de la personnalité, etc.)[3].

 

La donnée, aujourd’hui au centre de l’attention, est considérée par de nombreux commentateurs comme étant trop diverse tant dans sa nature que son origine, pour faire l’objet d’un régime unique qui serait, en réalité, contreproductif. Sur ce point, on soulignera que le terme de « donnée » couvre tant des données personnelles, publiques que commerciales. Ces trois catégories principales pouvant se chevaucher et complexifier encore davantage les problématiques en cours.

 

C’est d’ailleurs la position du Conseil national du numérique rappelée à plusieurs reprises et, pour la plus récente, dans un communiqué du 17 juillet 2017 où le CNNum réaffirme sa position sur la libre circulation des données en Europe[4]. De même, le think tank bruxellois The Lisbon Council a publié, le 13 juillet, une importante contribution, dans laquelle il démontre les nombreux problèmes qu’entrainerait la consécration officielle d’une propriété des données et ce, tant à l’égard de données personnelles que non personnelles ou anonymisées[5]. Un droit effectif à la portabilité est ainsi notamment préféré pour éviter toutes dérives ou exploitation en silo des données.

 

La feuille de route définitive de la Commission, est donc largement attendue et se doit d’être suivie, voire anticipée. Le projet révélé cette semaine par Politico, s’il ne tranche pas ce sujet précis, est néanmoins porteur de futurs changements et ne sera, en tout état de cause, qu’un document initial, amené à évoluer au gré de la procédure législative européenne.

 

Toute intervention des autorités européenne devrait veiller à ne pas remettre en cause des schémas existants qui, malgré tout, fonctionnent, ni brider l’innovation, mais créer davantage de sécurité juridique pour les entreprises (notamment dans l’optique de l’application du RGPD à l’horizon 2018), et de confiance pour les individus. Cela passe par plus de transparence, de sécurité, la construction de standards communs et davantage de clarté sur les cadres juridiques déjà existants.

 

Jean-Sébastien MARIEZ, Senior Counsel

Nina GOSSE, Juriste

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[3] Voir sur ce point : « Les nouveaux enjeux juridiques des données (big data, web sémantique et linked data), Les droits de l’opérateur de données sur son patrimoine numérique informationnel », Thomas Saint‐Aubin, Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 102, 1er mars 2014.

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